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Comment les pays en développement profitent-ils des matières premières ?

L’exploitation des ressources naturelles exige une vision à long terme. S’ils veulent parvenir à une croissance durable, les pays en développement riches en matières premières doivent notamment se concentrer sur les recettes fiscales.
Pourquoi n’y a-t-il plus d’industrialisation ? Une mine de soufre en Indonésie. (Image: Alamy)

Les pays en développement riches en matières premières connaissent généralement une faible croissance économique. Le constat peut surprendre, car l’extraction et la transformation des matières premières ont été au XIXe siècle l’un des moteurs du développement industriel et économique en Europe – notamment en Allemagne et en Angleterre : le charbon était utilisé pour fondre le fer et faire tourner les machines à vapeur. Les sites industriels se développaient autour des gisements ainsi que le long des voies navigables et des réseaux ferroviaires affectés au transport des matières premières. La proximité des gisements constituait un avantage concurrentiel eu égard au coût élevé du transport du charbon et des minerais bruts.

Autrefois pionniers de l’industrialisation, l’Allemagne, la Grande-Bretagne et les États-Unis sont aujourd’hui des économies fortement diversifiées. L’industrie minière a entièrement disparu en Allemagne : le pays importe tous ses métaux primaires et sa houille. Et même si les États-Unis figurent toujours parmi les principaux producteurs de minéraux, ce secteur ne joue plus qu’un rôle modeste dans l’économie du pays, tout comme en Grande-Bretagne.

Pourquoi donc n’y a-t-il plus d’industrialisation autour des zones d’extraction des pays en développement ?

La proximité des marchés est décisive


Un élément de réponse réside dans la libéralisation des marchés et la mondialisation des flux logistiques : contrairement à l’époque de la révolution industrielle, les frais de transport ne constituent plus un facteur de coût décisif, si bien que la proximité des zones d’extraction joue désormais un rôle secondaire. La bauxite (matière première de l’aluminium) est par exemple extraite en Australie et transportée par bateau au Mozambique sous forme d’oxyde d’aluminium, où elle est fondue puis exportée comme aluminium dans le monde. Les coûts de transport étant devenus négligeables, les chaînes de valeur des matières premières se sont dispersées dans le monde entier.

L’évolution technologique exige des propriétés techniques sans cesse renouvelées pour les matières premières transformées. La proximité du marché, c’est-à-dire des industries de transformation, représente désormais un avantage concurrentiel décisif. Il n’est donc pas surprenant de trouver des raffineries de métaux dans toute l’Europe, bien que le Vieux Continent ne possède pratiquement plus de sites d’extraction. L’industrie minière est par ailleurs devenue une branche de haute technologie. Les pays en développement ne disposent souvent pas des conditions technologiques préalables à l’intégration de l’industrie locale et à la création d’une industrie de sous-traitance. Les matières premières sont donc exportées à l’état brut.

De nombreux pays ont certes essayé – en vain – de forcer l’industrialisation en imposant des surtaxes douanières à l’exportation de matières premières non transformées. L’Indonésie, la Tanzanie et la République démocratique du Congo ont dû lever leurs restrictions à l’exportation, car elles ne disposaient pas d’un pouvoir de marché suffisant. Même si les ressources minérales ne sont pas réparties uniformément dans le monde, il n’existe pas de monopole sur telle ou telle matière.

La tendance est donc claire : dans les pays en développement, l’extraction de matières premières n’est plus synonyme d’industrialisation. Parallèlement, la numérisation et l’automatisation font disparaître de nombreux emplois. La mine Syama projetée au Mali prévoit par exemple une exploitation entièrement automatisée, sans aucun travailleur sur le site.

La demande augmente


Une chose est sûre : la demande de matières premières va augmenter sous l’effet de l’urbanisation mondiale, mais aussi du besoin croissant d’énergies renouvelables, nettement plus gourmandes en métaux (par unité d’énergie) que l’énergie produite à partir de combustibles fossiles. Comment les pays riches en matières premières pourront-ils profiter de ce besoin croissant ?

Les pays concernés ont intérêt à se concentrer sur les recettes publiques issues des exportations de matières premières. Ces dernières doivent toutefois être gérées de manière durable : seule une utilisation efficace et rationnelle de ces revenus peut favoriser le développement économique et social. Or, les administrations de ces pays sont souvent faibles et dotées d’une législation lacunaire. Pour changer la donne, les gouvernements et leurs partenaires de la coopération au développement doivent améliorer le système d’imposition.

Imposer le secteur des matières premières et celui hors produits de base est censé stabiliser à long terme les revenus de l’État. Ce qui pourrait sembler trivial à première vue se révèle être une tâche complexe concernant les conditions d’exploitation : la combinaison d’impôts et de redevances dans le secteur des matières premières est censée maximiser les recettes de l’État tout en faisant en sorte que l’exploitation minière reste un investissement rentable pour les entreprises extractives. Sur le plan stratégique, les gouvernements sont désavantagés par rapport aux entreprises, qui disposent la plupart du temps d’informations privilégiées sur le volume, les coûts d’extraction et la valeur des matières premières, notamment lorsque le produit est un concentré contenant des métaux secondaires.

Les prix des matières premières sont en outre volatils. Comme ce secteur constitue une part importante du produit intérieur brut dans de nombreux pays, les recettes publiques fluctuent en conséquence. Il faudrait donc agir de manière anticyclique et faire preuve d’une grande discipline budgétaire. Or, de nombreux gouvernements adoptent une attitude procyclique dans la conception de leur politique fiscale : ils augmentent les dépenses en période de recettes abondantes et font des économies lorsque les revenus diminuent, accentuant ainsi les fluctuations conjoncturelles.

Une stratégie à long terme


Les recettes publiques exigent une stratégie de stabilisation macroéconomique à long terme – notamment parce que les gisements de matières premières finissent un jour par s’épuiser. Dans l’idéal, les gouvernements pilotent leurs dépenses et leurs investissements de manière à atteindre l’équilibre à long terme, une stratégie qui permet d’absorber les fluctuations de prix du marché et peut être prolongée une fois les gisements épuisés. Les fonds souverains gérés par des États comme la Norvège mais aussi le Chili, le Botswana, le Mexique ou les Émirats arabes unis constituent à cet égard un instrument approprié. Ces fonds peuvent réaliser des investissements à long terme tout en compensant simultanément les fluctuations de prix à court terme. Le Mexique se protège en outre contre la volatilité des prix par le biais du marché des options.

Les règles fiscales sont un autre instrument efficace. En Norvège et au Chili, par exemple, des organismes indépendants fixent le plafond à concurrence duquel le déficit public est encore soutenable – en tenant compte des revenus issus des matières premières.

Des investissements ciblés


La croissance économique durable est également le fruit des investissements publics dans les ressources humaines, la santé et les dispositifs de protection sociale. La Norvège utilise ainsi les revenus de l’industrie extractive pour assurer la prévoyance-vieillesse de sa population. Les investissements dans la recherche et le développement ou dans des industries spécifiques contribuent également à diversifier l’économie. Cela permet de réduire l’exposition aux marchés des matières premières et de combler les lacunes de revenu une fois les gisements épuisés. En diversifiant son économie, la Malaisie est parvenue à produire des biens complexes et de haute qualité pour les industries automobile et électronique. Cela lui a permis de réduire sa dépendance vis-à-vis du secteur des matières premières.

Les instruments évoqués ci-dessus ne sont toutefois féconds que s’ils sont ancrés dans des institutions fortes. L’administration des finances publiques doit en particulier disposer des bases légales et des capacités requises pour générer des recettes publiques, planifier les dépenses et les mettre en œuvre. Les ministères compétents doivent être en mesure d’engager les investissements de manière équitable et efficace à tous les échelons institutionnels de l’État.

Les décideurs politiques doivent promouvoir une perspective à long terme dans la gestion des revenus tirés des matières premières en instituant un cadre réglementaire. Une structure de gouvernance forte et résistante ainsi que l’obligation de rendre des comptes pour les acteurs concernés sont à cet égard indispensables. Cette responsabilité peut notamment être stimulée par la transparence : si les revenus de l’État issus des matières premières sont connus de la population, le gouvernement sera incité à utiliser ces recettes pour le bien des habitants. Des pays comme l’Australie, le Canada, le Chili, le Botswana ou l’État-archipel de Timor Leste (Asie orientale) prouvent que cela débouche sur des résultats positifs.

Proposition de citation: Sven Renner ; Jürg Vollenweider ; (2021). Comment les pays en développement profitent-ils des matières premières . La Vie économique, 28 mai.