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Endettement : une hausse mondiale

La dette totale des pays avancés est presque trois fois plus importante que leur produit intérieur brut. Elle devrait encore croître à la suite de la crise du coronavirus. Si ce choc ne menace pas en soi la viabilité de la dette, l’évolution de cette dernière est source d’inquiétudes.

Endettement : une hausse mondiale

La dette publique du Japon est le plus élevée du monde. Une rue à Tokyo. (Image: Keystone)

Les économies nationales affrontent la crise de la Covid-19 avec des niveaux d’endettement déjà élevés. Dans le sillage de la crise financière mondiale de 2008–2009, les économies les plus avancées ont vu leur dette croître à des taux qu’on n’avait plus observés depuis la Deuxième Guerre mondiale (voir illustration 1) : leur dette totale s’élevait en 2018 à 265 % (130 000 milliards de dollars) du produit intérieur brut (PIB) et celle des collectivités publiques à 104 % (50 000 milliards de dollars).

La dette globale a augmenté de plus d’un tiers (36 %) entre 2007 et 2013, essentiellement du fait d’un endettement public accru induit par de fortes dépenses afin d’éviter que l’économie mondiale ne subisse une nouvelle Grande Dépression ; elle est depuis lors restée stable. L’endettement des entreprises se situe à un sommet historique, bien qu’on enregistre des différences significatives d’un pays à l’autre. Quant à celui des ménages, il reste élevé par rapport aux revenus, particulièrement dans les pays où les prix de l’immobilier ont augmenté rapidement comme en Scandinavie, en Australie et au Canada. La croissance des économies de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) a ralenti : elle est passée d’environ 4 % en moyenne au début des années 1970 à 2 % ces dernières années. Cette situation a suscité des inquiétudes concernant la capacité des économies à résorber leur endettement élevé.

Ill. 1. Endettement des économies avancées en pourcentage du PIB (1970–2018)




Remarque : les chiffres agrégés sont calculés d’après le PIB actuel exprimé en dollars étatsuniens et affichés comme moyenne mobile sur trois ans. Les données concernent les économies les plus avancées du monde, c’est-à-dire celles pouvant compter sur un important produit intérieur brut par habitant et une industrialisation significative. Pays pris en compte : Australie, Autriche, Belgique, Canada, Chypre, République tchèque, Danemark, Estonie, Finlande, France, Allemagne, Grèce, Hong Kong, Islande, Irlande, Israël, Italie, Japon, Corée du Sud, Lettonie, Lituanie, Luxembourg, Malte, Pays-Bas, Nouvelle-Zélande, Norvège, Portugal, Saint-Marin, Singapour, Slovaquie, Slovénie, Espagne, Suède, Suisse, Taïwan, Royaume-Uni et États-Unis.

Source : Kose et al. (2020) / La Vie économique

Les tendances des dettes agrégées masquent des différences considérables d’un pays à l’autre (voir illustration 2). À l’instar de 40 % des économies de l’OCDE, la Suisse a réussi à réduire sa dette publique depuis 2010. Le frein fédéral aux dépenses et des règles similaires introduites dans la plupart des cantons ont favorisé la baisse de la dette publique depuis le début des années 2000 : celle-ci est retombée au niveau du début des années 1990[1]. Le découvert public est donc faible en Suisse par rapport à la moyenne de l’OCDE. À l’opposé, la dette publique a atteint des niveaux extrêmement élevés dans plusieurs pays de l’OCDE : l’Italie, la Grèce et le Japon accusent ainsi un endettement public supérieur à 150 % du produit national.

Par ailleurs, l’endettement des ménages et des sociétés non financières a augmenté depuis la fin des années 1990. D’importantes variations s’observent toutefois d’un pays à l’autre. Les taux d’endettement des ménages et des entreprises ont globalement eu tendance à croître simultanément, ce qui a laissé certaines économies (Canada, pays scandinaves, etc.) face à des risques d’emprunt accrus pour ces deux types d’acteurs. En Suisse, l’endettement des sociétés est faible, contrairement à celui des ménages[2].

L’endettement va bondir d’ici 2021


L’augmentation persistante de la dette pour financer les plans de soutien économique liés à la Covid-19 et l’aggravation des bilans fiscaux doivent-elles nous inquiéter au vu des niveaux d’endettement déjà élevés de certains pays ? Une dette en constante hausse est-elle viable ? Et quelles sont ses implications pour la croissance à long terme ? Les avis divergent parmi les économistes.

Alors que l’endettement était déjà élevé à la veille de la pandémie de Covid-19, celle-ci a engendré des augmentations extrêmement fortes de la dette dans certains pays. Selon les dernières « Perspectives économiques de l’OCDE » publiées en juin 2020, le taux d’endettement global (rapporté au PIB) des pays fortement endettés sera 20 à 35 % plus élevé en 2021 qu’en 2019. Ce choc unique ne menace en soi pas la viabilité de la dette. En revanche, la dynamique de la dette ou la manière dont celle-ci continuera d’augmenter lorsque les économies se seront rétablies sont plus inquiétantes.

Pour les économies avancées, les taux d’intérêt extrêmement faibles, voire négatifs font que les coûts fixes de la dette sont bas. Les gouvernements peuvent ainsi s’endetter davantage et à moindre coût pour soutenir les entreprises, les travailleurs et les ménages face à la perturbation actuelle de l’activité économique. Ils devraient éviter une consolidation fiscale trop rapide (via notamment une diminution des dépenses ou des augmentations d’impôts destinées à réduire le déficit) susceptible de menacer le bon rétablissement de l’économie. Des risques importants pourraient cependant surgir si l’on ne veille pas ensuite à assurer la viabilité de la dette. Des réformes structurelles permettraient de favoriser une croissance du PIB plus élevée. Les priorités de réformes restent les mêmes qu’avant la crise de la Covid-19 pour de nombreux pays de l’OCDE. Il s’agit notamment d’améliorer la qualité et l’accessibilité de la formation scolaire et professionnelle, d’ouvrir les marchés à l’entrée, à la concurrence ainsi qu’aux échanges et aux investissements, ou encore de s’assurer que les systèmes de prélèvements et de prestations empêchent les inégalités de patrimoine et de revenu de marché de se transformer en inégalités des chances[3]. De tels changements pourraient jouer un rôle important face au déclin de la performance économique qui a récemment frappé de nombreuses économies avancées.

En ce qui concerne la Suisse, les « Perspectives économiques de l’OCDE » relèvent que la faiblesse de la dette publique procure une marge de manœuvre budgétaire pour aider encore le secteur privé, en particulier les petites et moyennes entreprises. Elle permet également d’étendre la formation des demandeurs d’emploi et des groupes menacés par les effets de la numérisation si la reprise venait à se faire attendre.

Ill 2. Dette publique brute dans l’OCDE en pourcentage du PIB (2010–2019)




Source : OCDE (2020) / La Vie économique

Un outil utile dans des conditions appropriées


L’endettement comporte des coûts et des avantages. Émettre de la dette en réponse à la pandémie permet aux gouvernements de financer les augmentations de dépenses ou les allégements fiscaux censés réduire les dégâts infligés à long terme à l’économie en empêchant le chômage de longue durée et en soutenant les entreprises viables. La dette peut également financer des investissements productifs dans l’économie, comme ceux effectués dans les infrastructures ou les nouvelles technologies, et qui sont susceptibles de doper le taux de croissance potentiel.

Mais, revers de la médaille, le gonflement de la dette augmente les risques liés aux besoins financiers plus importants. Il peut également constituer un frein à la croissance économique. Un fort découvert peut affecter la croissance en décourageant les investisseurs privés, même sans crise de la dette : l’émission de titres de dette publique à grande échelle peut engendrer un processus d’éviction touchant la mobilisation des capitaux privés. Le maintien d’un endettement élevé réduit la capacité d’un gouvernement à répondre à de futurs chocs économiques par une politique anticyclique ou à jouer un rôle de prêteur en dernier recours au secteur bancaire.

Les capacités des pays à s’endetter diffèrent. De nombreuses économies de marché émergentes se trouvent dans une situation plus précaire que les pays avancés en cas d’augmentation de leur dette. La composition de la dette et la manière dont elle est financée peuvent accroître les risques.

Les pays qui comptent sur un financement de la dette en monnaie étrangère tendent à affronter des risques plus élevés puisqu’un choc économique peut induire une dépréciation monétaire subite de nature à provoquer un gonflement de la dette et un arrêt soudain des flux de devises étrangères. Ainsi, la forte dépréciation du peso argentin mi-2018 a attisé l’inflation, tandis que la perception croissante des risques du marché a incité le Fonds monétaire international à débloquer une aide d’urgence de 50 milliards de dollars pour fournir un soutien budgétaire et une ligne de crédit de précaution au gouvernement. Étant donné la part élevée de la dette libellée en devises étrangères, la dépréciation du peso argentin a contribué à augmenter le ratio de la dette publique de 57 % en 2017 à 86 % en 2018[4]. Les retraits généralisés de capitaux des marchés émergents qui ont eu lieu en mars alors que la Covid-19 frappait les économies du monde entier illustrent la volatilité des économies qui comptent sur des flux de financement étrangers.

Des marchés domestiques des capitaux plus fournis et une base diversifiée de créanciers réduisent le risque de dépendance vis-à-vis d’un nombre limité d’investisseurs étrangers, qui seraient susceptibles de couper soudainement l’afflux des ressources. Ceci explique pourquoi des pays comme l’Italie et le Japon, dont les marchés de la dette sont bien développés en monnaie locale, ont pu financer des niveaux de dette publique supérieurs à 100 % de la production économique pendant presque un quart de siècle. À l’inverse, des pays accusant des niveaux d’endettement bien inférieurs ont vu la confiance des marchés financiers s’éroder et ont été privés de crédits, à l’instar de l’Argentine. Des fondamentaux macroéconomiques sains, une productivité élevée, un environnement d’affaires favorable et des institutions stables peuvent protéger les économies de ce genre de chocs.

Trouver le bon équilibre


L’endettement élevé des ménages et des entreprises à la veille de la crise du coronavirus a augmenté la vulnérabilité de plusieurs pays. La réponse à la pandémie a souvent pris la forme de mesures de soutien aux revenus et à la liquidité importantes et d’un échelonnement des paiements d’emprunts et d’impôts visant à éviter les défaillances d’entreprises et l’augmentation des faillites. Les programmes de soutien à la liquidité ont, directement ou indirectement, permis de faire face aux coûts salariaux : ils se sont avérés primordiaux pour aider les entreprises à disposer de liquidités dans les différents pays de l’OCDE. Si la demande prend beaucoup de temps à se rétablir dans certains secteurs fortement touchés, le défi qui attend les acteurs politiques sera de trouver le bon équilibre pour soutenir les emplois et les entreprises viables sans empêcher la réaffectation de travailleurs à de nouveaux emplois.

En outre, les dettes des entreprises et des ménages augmenteront là où les paiements des emprunts et des impôts seront reportés pour répondre à la crise. Au fur et à mesure que l’économie se rétablira, un autre défi consistera à trouver un équilibre entre le soutien à ceux qui affrontent un endettement élevé et la facilitation de l’accès à la faillite.

  1. OCDE (2019a). []
  2. Voir à ce propos les articles de Stefan Fahrländer et d’Anastassios Frangulidis dans ce numéro. []
  3. OCDE (2019b). []
  4. FMI (2019). []

Bibliographie

Bibliographie

Proposition de citation: Emily Sinnott (2020). Endettement : une hausse mondiale. La Vie économique, 21 septembre.