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Impôt anticipé : oui à une réforme judicieuse

À l’heure de l’échange automatique de renseignements, l’impôt anticipé n’est plus adapté. Il doit donc être supprimé, au moins pour ce qui concerne les revenus d’intérêts.
La transparence fiscale a augmenté. Le ministre des Finances Ueli Maurer (à gauche) et Adrian Hug, directeur de l’Administration fédérale des contributions. (Image: Keystone)

L’impôt anticipé suisse a été introduit à l’époque où les Anglais étaient les pionniers du tourisme alpin et où la place financière helvétique vivait du mythe de son secret bancaire. Un tel impôt de garantie sur les revenus du capital avait alors tout son sens pour inciter les investisseurs à dûment déclarer les rendements obtenus. Si le tourisme alpin a perduré, bien des choses ont changé depuis lors : le secret bancaire suisse a presque disparu et les taux d’intérêt ont tellement plongé qu’ils représentent aujourd’hui plus souvent une charge qu’un revenu.

Avec son taux de 35 %, l’impôt anticipé suisse compte parmi les impôts à la source les plus élevés du monde sur les revenus des capitaux mobiliers. Par ailleurs, son remboursement ou son imputation étant particulièrement difficile à obtenir pour les investisseurs étrangers, il a fait l’objet de critiques de plus en plus nombreuses au cours des dernières années. Les plus touchés sont notamment les investisseurs détenant des titres suisses à travers des fonds étrangers, auxquels un remboursement légitime est refusé pour des motifs administratifs.

Une nouvelle ère de transparence


Par le passé, les investisseurs étrangers et helvétiques qui plaçaient leur argent dans des titres suisses à partir de comptes étrangers ne demandaient généralement pas le remboursement de l’impôt anticipé sur les rendements de leurs capitaux en Suisse. Ils souhaitaient ainsi éviter que les autorités fiscales – étrangères ou helvétiques – aient connaissance des titres qu’ils détenaient en Suisse et du revenu généré par ces derniers.

Début 2017, cependant, l’échange automatique de renseignements (EAR) a été introduit dans notre pays. Pour la première fois, l’Administration fédérale des contributions (AFC) a procédé avec des administrations fiscales étrangères à des échanges de données relatives à des comptes détenus en Suisse par des résidents fiscaux étrangers. L’EAR a eu deux conséquences principales : premièrement, les détenteurs de titres suisses n’ont plus de raison de s’abstenir de demander le remboursement de l’impôt anticipé prélevé sur le rendement de leur capital placé en Suisse. Grâce à l’EAR, les autorités fiscales étrangères connaissent en effet déjà leurs investissements en Suisse.

L’EAR a ainsi conduit les investisseurs à réclamer de plus en plus fréquemment un remboursement de l’impôt anticipé en vertu de la convention de double imposition applicable. Les conséquences restent toutefois relativement modestes pour l’AFC : les demandes de remboursement, bien que plus nombreuses, représentent 1 % seulement du revenu annuel total de l’impôt anticipé, comme l’a montré une étude sur la réforme de l’impôt anticipé réalisée en mai 2019 sur mandat de l’AFC [1].

Le deuxième effet de l’EAR, nettement plus significatif, est l’augmentation de la transparence en matière fiscale et la création d’un climat d’honnêteté fiscale, tant pour les investisseurs suisses qu’étrangers. Sur le plan national, le secret bancaire subsiste certes formellement. La législation étrangère et les standards internationaux ont toutefois une influence croissante sur la place financière helvétique. Selon une tendance claire, les banques suisses sont de plus en plus soucieuses des risques de réputation et n’acceptent plus les fonds soustraits au fisc.

Le principe de l’agent payeur manque sa cible


Dans le cadre des discussions sur la réforme de l’impôt anticipé, la proposition d’introduire un principe de l’agent payeur pour les revenus d’intérêts a été largement débattue. L’obligation de retenir l’impôt anticipé n’incomberait plus comme aujourd’hui au débiteur de l’impôt, mais à l’agent payeur suisse. Le débiteur de l’impôt est par exemple une entreprise helvétique ayant émis un emprunt, alors que l’agent payeur sera généralement une banque suisse détenant les obligations correspondantes.

L’impôt anticipé serait ainsi étendu aux titres étrangers dès lors qu’ils sont détenus par des personnes ou entités suisses auprès d’agents payeurs suisses. Les partisans de cette approche font valoir que les agents payeurs helvétiques connaissent leur clientèle et peuvent ainsi retenir l’impôt anticipé de façon différenciée en fonction du statut fiscal du bénéficiaire. L’exemption de cet impôt applicable aux investisseurs étrangers et aux investisseurs institutionnels suisses suffirait à supprimer le désavantage concurrentiel qu’il représente pour la place financière helvétique. Le prélèvement de l’impôt anticipé à titre de garantie pourrait en revanche être maintenu pour les personnes physiques en Suisse. Le bénéfice de cette garantie serait encore renforcé par l’extension de l’impôt aux obligations étrangères, affirment ses défenseurs.

Les auteurs de l’étude jugent toutefois que l’approche consistant à introduire une imposition de l’agent payeur est fondamentalement erronée. Dans un environnement de taux d’intérêt très bas, voire négatifs, les discussions sur l’introduction d’un nouvel impôt sur les intérêts ont en effet peu de sens et paraissent en décalage avec la réalité. Les auteurs de l’étude estiment en outre que la charge administrative considérable qu’implique pour les banques suisses une imposition de l’agent payeur dépassera largement les éventuels avantages apportés par cette solution.

Par ailleurs, l’effet de garantie mis en avant par les partisans d’une imposition de l’agent payeur repose également sur une vision passéiste du monde. Comme indiqué précédemment, à une époque où l’honnêteté et la transparence fiscales prévalent, le prélèvement d’un impôt de garantie a perdu tout son sens. Les doutes sur la déclaration correcte de leurs revenus par les investisseurs n’ont plus lieu d’être et le traitement désormais rigoureux des infractions fiscales par les banques suisses a rendu obsolète le prélèvement d’un impôt de garantie.

L’introduction d’une imposition de l’agent payeur est dès lors vivement déconseillée. Le risque existe d’un fiasco comparable à l’échec des accords sur l’impôt libératoire de 2013 avec les pays européens, accords qui prévoyaient une imposition forfaitaire des revenus des capitaux en Suisse. Ils ont été rapidement abrogés, certains n’ayant même jamais été ratifiés.

Les dividendes dans le viseur


Dans l’environnement actuel, la meilleure solution serait donc de supprimer entièrement la retenue à la source sur les intérêts. Les opposants à une telle mesure ne manqueront pas de souligner la perte de revenu fiscal qui en résulterait et le risque accru de soustraction fiscale par les investisseurs suisses. Dans le contexte actuel de taux d’intérêt nuls ou négatifs, ces risques sont cependant négligeables. En effet, seuls quelque 2 % du total des recettes de l’impôt anticipé sont aujourd’hui issus de la taxation des intérêts (avec une tendance à la baisse), les 98 % restants provenant des dividendes.

Le débat sur la réforme de l’impôt anticipé devrait par conséquent se concentrer sur le taux d’imposition des dividendes. Les auteurs de l’étude estiment en outre que les recettes considérables de l’impôt anticipé au cours des dernières années ne reposent pas sur une base durable. Le refus opposé à des fonds étrangers de rembourser d’importantes sommes ne peut notamment pas être défendu à long terme. Il est donc indispensable de mener une discussion approfondie pour dégager des solutions pérennes.

  1. KPMG (2019). Reform Verrechnungssteuer. Mai 2019, étude sur mandat de l’AFC. []

Proposition de citation: Charles Hermann ; Stefan Keglmaier ; (2020). Impôt anticipé : oui à une réforme judicieuse. La Vie économique, 21 avril.