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Trente indicateurs d’un coup

Un nouvel indicateur composite permet d’identifier à l’avance les points de bascule du cycle conjoncturel suisse. Le Secrétariat d’État à l’économie y recourt désormais pour analyser la conjoncture.
Le nombre de permis de construire permet d’effectuer des prévisions concernant l’activité dans le secteur de la construction. Des gabarits à Küssnacht am Rigi (SZ). (Image: Keystone)

Comment se porte l’économie suisse ? Des données d’actualité sont nécessaires pour répondre à cette question cruciale de l’analyse conjoncturelle. L’un des problèmes est que les estimations trimestrielles officielles du produit intérieur brut (PIB) suisse ne sont disponibles qu’avec un retard de 60 jours. Pendant deux mois, les comptes nationaux ne donnent donc pas d’indication claire sur la situation de l’économie au cours du trimestre écoulé. Que faire ?

Les analystes recourent en général à des indicateurs dotés d’une bonne valeur prédictive (indicateurs avancés). On entend par là des chiffres économiques clés qui précèdent l’évolution conjoncturelle et permettent ainsi d’identifier à temps les changements de tendance. À cet effet, il est impératif que ces indicateurs soient disponibles bien avant la publication des chiffres du PIB.

On distingue deux types d’indicateurs : les « objectifs » (« durs ») et les « subjectifs » (« mous »). Les premiers se fondent sur des données économiques mesurables et continues. Exemple typique d’un indicateur objectif, les permis de construire précèdent ainsi d’environ six mois les investissements correspondants. Les indicateurs subjectifs se basent eux sur des données discontinues résultant d’enquêtes, comme l’indice du climat de consommation du Secrétariat d’État à l’économie (Seco) ou les différents indicateurs résultant des enquêtes du Centre de recherches conjoncturelles (KOF) de l’École polytechnique fédérale de Zurich (EPFZ).

Quel est le meilleur indicateur de tendance ?


Une étude de l’Institut autrichien de recherches économiques (Wifo) mandatée par le Seco a analysé la valeur prédictive des indicateurs de tendance pour la Suisse[1]. Elle s’est concentrée sur une sélection d’indicateurs indigènes utilisés de façon récurrente pour analyser la conjoncture.

Ces indicateurs ont d’une part été évalués au moyen de diverses méthodes statistiques. D’autre part, le Wifo les a mis en rapport avec différentes séries de référence, comme le PIB réel, la valeur ajoutée des industries de transformation, celle du secteur des services ou celle de l’ensemble du secteur privé.

Il est apparu que certains indicateurs de tendance sont fortement corrélés au PIB réel ou à la valeur ajoutée des industries de transformation, bien qu’aucun ne l’emporte nettement en qualité. En revanche, les indicateurs de tendance conçus spécifiquement pour le secteur des services s’en sortent comparativement mal, ce qui pose un problème croissant aux analystes, sachant que ce secteur ne cesse de gagner en importance économique avec la progression des mutations structurelles. En outre, les indicateurs de tendance sont davantage « coïncidents » que « précurseurs » par rapport à la grandeur de référence. En d’autres termes, les corrélations sont faibles lorsqu’on ne dispose encore d’aucune donnée sur le trimestre en cours.

Un nouvel indicateur composite


L’étude du Wifo a été l’occasion de regrouper les indicateurs isolés dans un nouvel indicateur composite. Des indicateurs de ce type existent certes déjà pour la Suisse, comme le baromètre conjoncturel du KOF, l’indice BNS du cycle des affaires ou le modèle factoriel de détection précoce des récessions en Suisse géré par le Seco. Ils mélangent cependant des indicateurs objectifs et subjectifs. La plus-value de l’indicateur composite présenté ici provient du fait qu’il ne se fonde que sur des indicateurs de tendance subjectifs, ce qui lui permet de présenter plus exactement le climat économique.

Comment cet indicateur composite est-il conçu ? Dans un premier temps, la série de données de l’étude a été complétée par d’autres indicateurs de tendance disponibles pour la Suisse, de façon à avoir le choix entre plus de 200 indicateurs indigènes. Ceux qui entraient en ligne de compte pour déceler à temps les oscillations cycliques de l’économie suisse ont alors été extraits (voir encadré). Le résultat final a permis de sélectionner 30 séries de données, dont vingt disponibles mensuellement et dix trimestriellement (voir tableau).

Les dix premiers indicateurs de tendance (sous-indices)













1. Indice des directeurs d’achats PMI Industrie : carnet de commandes Par rapport au mois précédent, mensuel ; corrélation : 0,62
2. KOF Industrie : entrées de commandes Variation attendue au cours des trois prochains mois, mensuel ; 0,62
3. Indice des directeurs d’achats PMI Industrie : volume des achats Par rapport au mois précédent, mensuel ; 0,61
4. KOF Industrie : achat d’intrants Variation attendue au cours des trois prochains mois, mensuel ; 0,61
5. Credit Suisse et CFA : taux d’inflation Attentes à moyen terme concernant le taux d’inflation, mensuel ; 0,59
6. Indice des directeurs d’achats PMI Industrie : production Par rapport au mois précédent, mensuel ; 0,58
7. KOF Industrie : production Variation attendue au cours des trois prochains mois, mensuel ; 0,56
8. KOF Industrie : situation des affaires Variation attendue au cours de six prochains mois, trimestriel ; 0,55
9. KOF Industrie : carnet de commandes Variation par rapport au mois précédent, mensuel ; 0,54
10. Credit Suisse et CFA : taux d’intérêt à court terme Attentes à moyen terme, mensuel ; 0,54


Remarque : selon l’analyse effectuée, ces dix indicateurs de tendance présentent actuellement la plus forte corrélation avec le PIB réel. Exemple de lecture : le sous-indice « production » du PMI Industrie est publié mensuellement et présente actuellement une corrélation de 0,62 avec le PIB. Cette corrélation correspond à la valeur moyenne calculée à partir du dernier mois du trimestre précédent, des trois mois du trimestre de référence et du premier mois du trimestre suivant. La liste complète des indicateurs de tendance utilisés peut être obtenue sur demande à l’adresse conjoncture@seco.admin.ch.

Source : Wegmüller et Glocker / La Vie économique

L’indicateur composite a l’avantage de ne pas devoir procéder à 30 analyses distinctes. Il permet en outre de masquer les faiblesses spécifiques de certains indicateurs, comme de fortes oscillations ou des taux de réponse irréguliers lors d’enquêtes. Il présente cependant aussi des inconvénients par rapport aux observations individuelles. Ainsi, comme les indicateurs ne sont pas tous publiés simultanément, la série d’informations se complète chaque mois de façon séquentielle. L’indicateur composite du trimestre écoulé n’est donc complet que le septième jour ouvrable du mois suivant. La série de données du troisième trimestre 2019 (de juillet à septembre) n’a par exemple été complète que le 7 octobre.

Comme les indicateurs de tendance ne sont pas tous publiés simultanément, leur disponibilité successive peut aboutir à de légères retouches de l’indicateur composite. Cela vaut en particulier pour les mois au cours desquels des informations sont ajoutées par la publication d’un nouveau point de données. La teneur informative d’un indicateur de tendance peut en outre varier avec le temps. La sélection des indicateurs devrait donc être vérifiée et adaptée périodiquement.

Détection précoce des récessions


L’indicateur composite a été calculé rétrospectivement pour les dernières décennies. Il en est ressorti qu’il présente très bien l’évolution de la conjoncture suisse à partir du milieu des années 1990 (voir illustration). Il reflète non seulement la morosité au cours de la crise financière de 2008, mais également lors de la bulle technologique de 2002 et de la crise de la dette européenne de 2012.

Il est intéressant de noter que, même après l’abandon du cours plancher liant le franc et l’euro par la Banque nationale suisse au début 2015, le moral est aussi tombé bien en dessous de sa valeur moyenne à long terme et il a fallu plus d’une année pour qu’il s’en remette. Dans ce contexte, le PIB a évolué conformément aux prévisions de l’indicateur composite, surtout au premier semestre 2015, mais l’économie réelle semble s’être par la suite mieux développée que ne l’augurait l’indicateur. Cela signifie que le moral et le cours du PIB n’évoluent pas forcément en parallèle. La création de valeur peut déjà avoir repris son essor alors que le moral des ménages et des entreprises peut être encore inférieur à la moyenne – et inversement.

Indicateur composite du climat de l’économie suisse




Remarque : PIB réel et corrigé des variations saisonnières.

Source : Wegmüller et Glockner / La Vie économique

Le nouvel indicateur composite a été comparé avec d’autres indicateurs de tendance et indicateurs composites courants. Concrètement, il s’agissait d’observer comment ces différents indicateurs étaient corrélés avec la croissance trimestrielle du PIB réel. La teneur informative de l’indicateur composite s’est avérée comparativement élevée dès le début de chaque trimestre et a encore augmenté au cours des mois suivants. Le Seco a donc décidé de recourir dès à présent au nouvel indicateur composite du climat de l’économie suisse pour analyser et prévoir la conjoncture.

  1. Glocker C. et Kaniovski S. (2019), Evaluating leading indicators for the Swiss business cycle. Étude mandatée par le Seco, publiée prochainement sur le site Internet du Seco. []

Proposition de citation: Philipp Wegmüller ; Christian Glocker ; (2019). Trente indicateurs d’un coup. La Vie économique, 23 octobre.

L’indicateur composite

L’indicateur composite regroupe trente indicateurs de tendance remplissant chacun quatre critères : premièrement, une corrélation co-temporelle d’au moins 0,4 avec le PIB ; deuxièmement, une corrélation avec le PIB d’au moins 0,2 un trimestre à l’avance ; troisièmement, une disponibilité depuis au moins dix ans ; quatrièmement, une disponibilité au plus tard 30 jours après l’échéance du trimestre. Une méthode simple et transparente a été choisie pour le calcul, étant donné que la valeur ajoutée de méthodes plus compliquées paraissait plutôt modeste, du moins dans ce cas. Concrètement, elle implique le calcul de la moyenne arithmétique des 30 indicateurs de tendance standardisés et la définition d’intervalles de confiance.