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Quelle est la flexibilité du marché suisse du travail ?

Le marché suisse du travail maîtrise relativement bien les chocs conjoncturels grâce à sa macroflexibilité. Au niveau « micro », cependant, il se classe seulement dans la moyenne, comme le montre une comparaison avec douze pays de l'OCDE, effectuée sur la période 1995–2007. Ainsi, la durée du chômage peut être relativement longue en Suisse.
Un marché du travail flexible assure au salarié qui a perdu son emploi en raison de la conjoncture d'en retrouver un vite.

Ce qui se vend bien aujourd’hui ne trouvera peut-être déjà plus preneur demain. Les technologies de l’information ont dynamisé le développement économique. La flexibilité n’en a pris que plus d’importance sur le marché du travail. Les politiciens se sont emparés de la question. Si les employeurs répètent que cette flexibilité est une garantie pour la survie économique, les syndicats ne veulent pas qu’elle aille « trop loin ».

Qu’est-ce qu’un marché du travail flexible sur le plan scientifique ? C’est un marché qui assure aux travailleurs ayant perdu leur emploi suite à un choc conjoncturel qu’ils en trouveront rapidement un autre. La microflexibilité est la capacité d’une économie à mobiliser efficacement, c’est-à-dire rapidement, les travailleurs sans emploi vers de nouveaux postes. Par macroflexibilité, on entend la capacité d’un pays à se relever d’une récession à large échelle sans voir son chômage augmenter à l’excès. Les marchés du travail flexibles se caractérisent par un faible taux de chômage, de vastes déplacements de travailleurs entre le moment de la perte d’emploi et le retour au monde du travail, enfin un chômage moyen de courte durée. Au contraire, les marchés du travail rigides connaissent un taux de chômage élevé, assez peu de mobilité de la part des salariés et une longue durée de chômage.

La crise économique et financière mondiale a fourni l’occasion de tester la flexibilité du marché du travail. Elle a plongé la Suisse dans sa plus longue récession depuis les années nonante. À la fin de 2008, selon les chiffres du Secrétariat d’État à l’économie (Seco), le produit intérieur brut (PIB) s’était contracté en raison de la crise. Il a ensuite continué sur cette voie durant les trois premiers mois de 2009.

Avant cela, la demande de produits industriels suisses avait fléchi et l’indice étranger des directeurs d’achats (PMI), pondéré en fonction des exportations, avait chuté d’un quart sur l’année 2008 (voir illustration 1). L’indice PMI, étroitement lié aux exportations suisses, reflète la situation de nos principaux partenaires commerciaux dans le secteur productif.

Ill. 1. Taux de chômage et PMI étranger pondéré par les exportations




Remarque : Les phases de récession sont en bleu.

Source : Seco (2017), Hanslin et Scheufele (2016) / La Vie économique

Suite à la récession qui avait durement frappé nos partenaires commerciaux dès la fin de 2008, le taux de chômage était passé en Suisse de 3,5 % au début de 2008 à quelque 4,5 % fin 2009 (voir illustration 1)[1]. Il était retombé ensuite à 4 % à la fin de 2011, soit la valeur moyenne observée dans la période 2002–2014. On peut donc affirmer que la récession consécutive à la crise économique a eu des effets limités sur le taux de chômage.

La protection contre les licenciements nuit à la microflexibilité


Dans certaines circonstances, la fluidité du mouvement des travailleurs au chômage vers de nouveaux emplois (microflexibilité) est contrariée par des dispositions légales et administratives destinées à protéger les employés. La réglementation la plus influente à cet égard est la protection contre les licenciements. Elle réduit la marge de manœuvre dont disposent les entreprises pour embaucher ou licencier. Elle protège certes les salariés contre l’insécurité, mais peut aussi compliquer la recherche d’emploi. Les réglementations qui limitent les possibilités pour les entreprises d’adapter les contrats de travail risquent également, le cas échéant, d’affecter la microflexibilité.

Quel impact la protection contre les licenciements a-t-elle eu sur le chômage ? Pour répondre à cette question, nous avons comparé les uns aux autres, pour la période 1995–2007, douze pays de l’OCDE ayant différents régimes de protection contre les licenciements. Nous avons ajouté à cela deux indicateurs de la performance du marché du travail : le taux et la durée du chômage. Pour le premier, on ne constate pas de corrélation nette avec les exigences de la protection contre les licenciements. On observe en effet de faibles taux de chômage aussi bien dans les pays ayant un solide dispositif protecteur que dans ceux qui n’en ont pas (voir illustration 2).

Critère déterminant : la durée du chômage


Le taux de chômage est-il un bon instrument de mesure de la microflexibilité ? Il ne donne aucun indice sur le temps que passent les chômeurs à chercher du travail. Il ne renseigne que sur le nombre de personnes se trouvant dans cette situation. Or, la question est déterminante.

En réalité, chaque mois, de nombreuses personnes s’inscrivent au chômage, alors que beaucoup d’autres en sortent. Selon les données du Seco, environ 29 000 actifs perdent leur travail chaque mois et à peu près autant en retrouvent un[2]. La durée du chômage constitue un meilleur critère pour mesurer la microflexibilité, puisque que sur les marchés flexibles, les demandeurs d’emploi trouvent rapidement une nouvelle place.

Ill. 2. Protection contre les licenciements





Source : OCDE (2017) / La Vie économique

Ill. 3. Durée du chômage




Source : OCDE (2017) / La Vie économique

Entre la durée moyenne du chômage et la rigueur de la protection contre les licenciements, il existe une forte corrélation positive (voir illustration 3). Dans un pays où cette protection est très développée, il faut s’attendre en principe à ce que la durée moyenne soit relativement longue. En d’autres termes, les personnes au chômage ont d’autant plus de peine à trouver un nouvel emploi que les travailleurs sont bien protégés contre les licenciements. Cela signifie que cette situation a un impact certain sur la durée du chômage, alors qu’elle demeure sans incidence notable sur son taux.

Le frein des indemnités de chômage


Indépendamment de la protection contre les licenciements, l’assurance-chômage (AC) joue probablement aussi un rôle. En effet, les indemnités de chômage n’encouragent pas à chercher le plus vite possible un nouvel emploi, ce qui prolonge la durée du chômage et pèse donc sur l’emploi en général.

Cela dit, l’AC ne se contente pas de verser de l’argent. Elle met aussi son expertise et ses programmes de formation au service des employés à la recherche d’un emploi. Grâce à elle, les chômeurs peuvent ainsi reprendre pied plus rapidement sur le marché du travail et améliorer à moyen terme leur employabilité.

Le rôle de l’assurance-chômage peut donc se résumer comme suit : c’est la principale source de revenu des personnes actives qui perdent leur travail suite à un choc conjoncturel. Elle améliore la flexibilité du marché du travail, dans la mesure où elle assiste les demandeurs d’emploi désireux de retrouver rapidement un poste. Dans le même temps, toutefois, elle affecte cette flexibilité en diminuant l’incitation à se réinsérer professionnellement.

Les chiffres le montrent : par rapport à l’Autriche et à la Norvège, la protection contre les licenciements n’est pas très sévère en Suisse. Elle l’est toutefois beaucoup plus qu’aux États-Unis, où des règles bien plus lâches encadrent l’embauche et le licenciement du personnel. En même temps, le chômage en Suisse est à la fois faible et d’une durée moyenne plutôt longue. Il n’est donc ni rigide ni totalement souple.

Une macroflexibilité élevée grâce au partenariat social


Quelle résistance la macroflexibilité du marché du travail offre-t-elle face aux crises ? Pour répondre à cela, nous avons développé pour la période 1995-2015 un indice simple de macroflexibilité pour 39 pays de l’OCDE, qui cible la perte globale de prospérité liée aux fluctuations du taux de chômage. La Suisse se classe au deuxième rang, derrière la Norvège. Le Royaume-Uni et les États-Unis, dont les marchés du travail sont généralement réputés flexibles, n’occupent que les 11e et 18e rangs. Cela montre que l’économie suisse est capable d’absorber des chocs extérieurs avec un impact réduit sur le taux de chômage (voir illustration 1).

Comment s’explique ce haut degré de macroflexibilité ? Les institutions du marché du travail ne jouent sans doute qu’un rôle secondaire à cet égard, puisque, nous l’avons vu, elles restreignent la microflexibilité. Le partenariat social, en revanche, est probablement un facteur important.

En Suisse, les représentants des travailleurs et les employeurs ont l’habitude de se parler et de négocier dans une atmosphère constructive. D’après le rapport du World Economic Forum (WEF) sur la compétitivité mondiale, la Suisse est le pays où les relations entre patrons et travailleurs apparaissent le plus marquées par un souci de collaboration. Cette aptitude à aborder et à traiter ensemble les problèmes économiques nationaux contribue peut-être à maintenir la macroflexibilité à un haut niveau.

  1. Seco (2017). []
  2. Voir, à ce sujet, l’article de Bernhard Weber (Seco). []

Bibliographie

  • Blanchard O. J., Jaumotte F. et Loungani P., « Labor market policies and IMF advice in advanced economies during the Great Recession », IZA Journal of Labor Policy, 3(1), 2014, p. 2.
  • Hanslin S. et Scheufele R., « Foreign PMIs : A reliable indicator for exports ? », SNB Working Papers, 1/2016.

Bibliographie

  • Blanchard O. J., Jaumotte F. et Loungani P., « Labor market policies and IMF advice in advanced economies during the Great Recession », IZA Journal of Labor Policy, 3(1), 2014, p. 2.
  • Hanslin S. et Scheufele R., « Foreign PMIs : A reliable indicator for exports ? », SNB Working Papers, 1/2016.

Proposition de citation: Rafael Lalive ; Frédéric Martenet ; (2017). Quelle est la flexibilité du marché suisse du travail . La Vie économique, 23 mars.