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Le marché suisse de l’emploi a démontréune forte capacité de résistance durant la crise

Alors que la crise financière et économique mondiale a plongé de nombreux pays dans une profonde récession, la Suisse a renoué relativement vite avec la croissance. Elle s’en est sortie sans changements structurels majeurs et son marché de l’em-ploi n’a pas subi de dommages durables. L’avenir reste toutefois incertain en raison de l’acceptation de l’initiative contre l’immigration de masse et du débat sur les salaires minimums.
La crise de 2008/2009 a certes eu un impact sensible sur l’économie et le marché de l’emploi suisses. Par rapport à d’autres pays, on évoquera plutôt une forte stabilité

En 2007, lorsque la crise sur le marché immobilier aux États-Unis ne faisait que commencer, l’économie suisse bénéficiait depuis des années d’une croissance durable et d’une hausse de la demande en main-d’œuvre. Le nombre de postes vacants – près de 62 000 durant le deuxième et le troisième trimestre de 2007 – atteignait ainsi son niveau le plus élevé depuis 2001. Quant au PIB par habitant, il signait un nouveau record en progressant de 3,8% la même année. Sous l’influence de ces deux paramètres, le taux de chômage calculé selon la définition de l’Organisation internationale du travail (OIT) évoluait lui aussi favorablement, chutant de près d’un point de pourcentage en deux ans pour s’établir à 3,6% au deuxième trimestre de 2007.

Dès le début de 2008, la croissance devait, toutefois, sensiblement fléchir avant de tomber à zéro. La crise a pris sa véritable dimension en 2009, puisque cette année, le PIB par habitant se contractait de 1,9%. L’économie suisse s’est reprise relativement vite, en renouant avec la croissance dès l’année suivante. Depuis lors, son rythme s’est ralenti.

Les conséquences sur le marché de l’emploi ne se sont fait sentir qu’avec retard. Ainsi, le taux de chômage suisse a légèrement reculé en 2008 jusqu’à 3,4%, avant de bondir en 2009 à 4,1%, soit une hausse de 0,7 point de pourcentage. Ce taux a atteint son niveau le plus élevé au premier trimestre de 2010 (5,1%). La Suisse recensait alors 175 000 personnes en quête d’emploi.La conjoncture se stabilisant relativement vite après 2009, la situation sur le front du chômage s’est elle aussi améliorée. Son taux est ainsi retombé à 3,6% au deuxième trimestre de 2011, pour se maintenir à un niveau très semblable en 2012 (3,7%).

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Stabilité du marché de l’emploi en Suisse


Si le marché suisse de l’emploi, pas plus que l’économie, n’a été épargné par la crise, il s’est néanmoins montré bien plus stable que celui d’autres pays. Ces dernières années ont, en effet, été autrement plus difficiles non seulement pour les pays en crise de la zone euro, mais aussi pour d’autres comme la Grande-Bretagne ou, en particulier, le Danemark, dont la situation avant la crise était comparable à celle de la Suisse. Le taux de chômage n’y est jamais redescendu en dessous de la barre de 7%, alors qu’il se situait à 3,8% en 2007.

Outre les mesures adoptées dans le domaine de la finance et de la formation continue, un facteur important a permis de lutter contre la hausse du chômage durant la récession: la flexibilisation du degré d’occupation. Le chômage partiel concernait ainsi plus de 90 000 personnes en mai 2009, contre pas même 1500 un an auparavant. Cet instrument a permis aux entreprises d’adapter leur production à la conjoncture sans procéder à des licenciements massifs.

De grandes disparités régionales


La crise ne s’est pas ressentie de la même manière dans toutes les régions du pays. C’est surtout dans l’Arc lémanique et le nord-ouest de la Suisse que le taux de chômage a beaucoup progressé en 2008 et en 2009. Au Tessin, il a enregistré une hausse, retardée certes, mais aussi forte et continue, jusqu’en 2011. Les régions de Zurich et du Plateau ont été moins fortement touchées.

Le Plateau, la Suisse centrale et la Suisse orientale ont rapidement retrouvé une santé: leur taux de chômage est retombé au niveau d’avant la crise, voire plus bas, dès 2011. 
La même année, ce taux était légèrement supérieur à son niveau d’avant la crise dans 
la région de Zurich et de 0,5 point de pourcentage inférieur dans le nord-ouest de la Suisse. Dans l’Arc lémanique en revanche, la reprise est faible en 2011, le taux de chômage restant supérieur de 1 point de pourcentage au niveau d’avant la crise. Au Tessin, une reprise passagère a été enregistrée dès 2012. Toutes les autres régions ont, au contraire, subi un léger retour du chômage à partir de cette année-là, à l’exception du nord-ouest de la Suisse. La situation dans les régions frontalières retient aussi l’attention: pendant ces années difficiles, le taux de chômage a plus augmenté dans les régions frontalières de la Suisse orientale et de l’Arc jurassien que dans le reste de la Suisse alémanique, la Suisse romande et le Tessin. Dans l’ensemble, la crise a creusé les écarts régionaux.

Le tertiaire a toujours le vent en poupe


Durant la crise, la répartition entre les secteurs n’a guère varié et seulement de façon passagère dans la majorité des cas. Si le taux de chômage de l’industrie a augmenté plus fortement que celui des autres secteurs en 2008 et 2009, il a aussi reculé plus rapidement après la crise. Dans la branche de la construction, la reprise a été nettement plus rapide qu’ailleurs. Au surplus, la progression de l’emploi dans le tertiaire s’est poursuivie même durant et après la crise, quoiqu’à un rythme inférieur. Ce phénomène a surtout concerné la santé, le domaine social, la formation et l’éducation. Les professions libérales ainsi que les services scientifiques et techniques ont enregistré une évolution similaire.

Les salariés étrangers davantage ­frappés par la crise


Les salariés étrangers, surtout ceux qui ne proviennent pas des États de l’UE28/AELE, ont été bien plus frappés par la crise que les suisses. Leur taux de chômage a ainsi bondi de 3,6 points de pourcentage, passant de 10,1% en 2008 à 13,7% en 2010, ce qui correspond à une hausse de 36%, alors que celui des Suisses n’a progressé que de 0,7 point de pourcentage, ou 28%. Si les salariés de l’UE28/AELE ont eux aussi été davantage que les suisses, l’écart était bien moindre que pour les ressortissants des États tiers. Quant à la reprise qui a suivi 2009, elle a aussi été plus lente pour les salariés étrangers que pour les suisses. Cinq ans après, leur taux de chômage reste ainsi supérieur de deux points de pourcentage aux niveaux atteints avant la crise, soit 10,1% pour les salariés provenant des pays tiers et 4,1% pour ceux originaires de l’UE28/AELE. Pour les Suisses, ce même taux n’est en revanche que légèrement supérieur à celui d’avant la crise (2,9% contre 2,5%).

Évolution de l’immigration et des salaires


L’immigration nette a fait un bond particulièrement marqué en 2008; celui-ci provient presque exclusivement de l’afflux de salariés issus des États de l’UE17/AELE. Sa composition s’est, en outre, modifiée en raison de la crise qui a plus particulièrement frappé les pays du sud de l’Europe. Ainsi, l’immigration nette en provenance du Portugal, d’Italie, d’Espagne et de Grèce s’est considérablement et continuellement accrue depuis 2009, tandis que celle originaire d’Allemagne et des autres États de l’UE17/AELE a reculé, ce qui a aussi modifié le niveau de formation moyen des salariés immigrés. Ceux qui viennent d’Europe du Sud ont un niveau de formation comparativement plus faible que ceux issus d’Allemagne, de France et des autres États de l’UE17/AELE, qui étaient majoritaires dans l’immigration avant la crise.

La crise a eu un effet modérateur sur les salaires nominaux. Si leur rythme de progression a été relativement constant de 2006 à 2008, il s’est nettement affaibli à compter de 2009. Cette situation n’a, toutefois, pas eu d’effet pernicieux sur les salaires réels. La force du franc leur a permis de s’accroître considérablement de 2008 à 2009; ils continuent, du reste, dans cette voie. Le revenu médian – soit celui perçu par au moins 50% de la population – a lui aussi quelque peu augmenté depuis la crise, alors que la part de personnes à faible revenu est en recul. Pour le reste, la répartition des revenus est très stable et les inégalités dans ce domaine, loin de s’accentuer avec la crise, ont même légèrement diminué.

Pas de recrudescence de la pauvreté


Le taux d’aide sociale est resté inchangé pendant et après la crise: 2% pour les Suisses et 6% pour les étrangers. Le taux de pauvreté – soit la proportion de personnes dont le revenu est inférieur au minimum vital social – a même chuté de 1,8 point de pourcentage de 2007 à 2009, pour s’établir à 7,7%. Depuis cette date, il est resté stable et n’a pas repassé la barre des 8%, de sorte que la pauvreté ne s’est pas aggravée en Suisse malgré la crise.

Une évolution marquée par l’incertitude


La Suisse a surmonté la crise sans avoir subi de changements structurels majeurs et son marché de l’emploi s’en est tiré sans dommage durable. Si les dernières prévisions continuent à tabler sur un marché de l’emploi stable, l’évolution à plus long terme reste incertaine. L’acceptation de l’initiative contre l’immigration de masse et l’éventuelle adoption de salaires minimaux peuvent exercer des effets considérables sur l’économie suisse et son marché du travail, notamment parce que les secteurs porteurs du tertiaire ont largement recours à la main-d’œuvre étrangère. Il est encore impossible d’évaluer les effets concrets de ces deux initiatives sur la croissance et l’emploi.

Proposition de citation: Lukas Eckert ; Conny Wunsch ; (2014). Le marché suisse de l’emploi a démontréune forte capacité de résistance durant la crise. La Vie économique, 01 avril.