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Réforme fiscale écologique: projets du Conseil fédéral destinés 
à une deuxième étape de la Stratégie énergétique 2050

Une réforme vise à déplacer la charge fiscale du travail et du capital vers la consommation d’énergie. Elle doit constituer une incitation à améliorer l’efficience énergétique et à réduire la consommation d’énergie. Pour autant qu’une telle réforme écologique soit mise en uvre sans déséquilibrer le budget et en modifiant le moins possible la quote-part fiscale – les recettes de la taxe sur l’énergie seraient compensées par des réductions d’impôts et de taxes –, elle permettrait, selon les modalités et les circonstances, de renforcer la compétitivité et la capacité d’innovation de l’économie suisse. Le Conseil fédéral a chargé le Département fédéral des finances (DFF), le 28 septembre 2012, de préparer une réforme fiscale écologique pour une deuxième étape de la Stratégie énergétique 2050, qui débutera après 2020.

En mai 2011, le Conseil fédéral a décidé d’abandonner progressivement le nucléaire et a esquissé la Stratégie énergétique 2050. 
Lorsqu’elles arriveront en fin de vie (les exigences techniques de sécurité n’étant plus satisfaites), les centrales nucléaires existantes seront arrêtées et ne seront pas remplacées. Les objectifs climatiques actuels seront par ailleurs poursuivis et il s’agira d’améliorer la gestion durable des ressources naturelles.Le Conseil fédéral entend atteindre les objectifs énergétiques et climatiques en deux étapes:

  1.  L’assainissement des bâtiments et la production de courant issue des énergies renouvelables bénéficieront d’abord d’un soutien financier accru, visant à exploiter le potentiel existant d’efficience énergétique. Or le train de mesures concernant la Stratégie énergétique 2050 approuvé par le Conseil fédéral – qui renferme essentiellement, outre des instruments de réglementation (obligations, interdictions, normes), les mesures d’encouragement précitées – ne permettra d’atteindre que la moitié des objectifs énergétiques.
  2. Le Conseil fédéral a donc ajouté une 
deuxième étape à sa stratégie énergé-
tique 2050. Dès 2021, les encouragements feront place à des mesures d’incitation par les prix, qui remplaceront par étapes les subventions. Cette phase coïncide avec la réforme de la politique déployée en matière de protection climatique. En effet, l’actuelle loi sur le CO2 renferme des objectifs courant jusqu’en 2020 et qu’il 
faudra redéfinir après cette échéance.

Les instruments de l’économie 
de marché sont les plus avantageux


Les mesures d’encouragement et la ré­glementation (obligations, interdictions, normes, etc.) sont susceptibles d’agir à 
court terme, leur mise en œuvre pouvant 
être ­relativement rapide. À moyen ou long terme, elles comportent toutefois de sérieux inconvénients.La réglementation fondée sur des normes, obligations et interdictions risque d’être une source d’inefficience. Autrement dit, les économies d’énergie risquent d’être encouragées à des endroits où elles sont plus difficiles et coûteuses à réaliser qu’à d’autres. Les 
mesures d’encouragement se heurtent, elles ­aussi, à un problème de connaissances: il incombe à l’État de déterminer les «technologies d’avenir» en matière de production énergétique et les mesures porteuses pour accroître l’efficience énergétique au moyen de subventions. Les mesures d’encouragement soulèvent encore le problème des effets d’aubaine: des subventions seront sollici-
tées par des acteurs qui auraient adopté le comportement souhaité (p. ex. assainissement énergétique de l’enveloppe des bâtiments) même en l’absence de toute incitation étatique. De plus, la règlementation et les mesures d’encouragement n’incitent pas 
à mettre en œuvre des dispositifs qui 
améliorent l’efficience au-delà des exigences légales ou des critères d’obtention des 
subventions.Les systèmes d’incitation consistent à renchérir par des taxes l’énergie et les émissions polluantes. Les entreprises et les ménages peuvent ainsi décider librement où et comment ils souhaitent p. ex. réduire leur consommation d’énergie ou leurs émissions de CO2. De cette manière, les économies d’énergie pourront s’effectuer à moindres frais. En outre, les incitations financières poussent à rechercher constamment de nouvelles possibilités, toujours meilleures, de réduire les émissions et la consommation d’énergie.

Qu’est-ce qu’une réforme fiscale ­écologique?


Une réforme fiscale écologique a pour but de ménager les ressources naturelles par le biais de taxes énergétiques et environnementales (incitations financières) qui, en retour, s’accompagnent de réductions d’impôts ou de taxes pour les particuliers et les entreprises. Elle comprend donc deux volets: le prélèvement d’une taxe sur l’énergie, d’une part, et la redistribution des recettes de cette taxe à la population et aux entreprises (redistribution effectuée sous forme de forfait ou de réductions d’impôts et de redevances), d’autre part. Pour ce qui est des objectifs 
environnementaux, on veillera à les attein-dre sans déséquilibrer le budget et en 
modifiant le moins possible la quote-part 
fiscale, afin de ne pas alourdir la charge des contribuables.Une taxe sur l’énergie est destinée à internaliser des effets externes. Dans l’idéal, celle-ci devrait donc être fixée en fonction des coûts externes générés par chaque agent éner­gétique. La complexité et l’imprécision des estimations en la matière ont, toute-
fois, conduit à privilégier dans la pratique le modèle des coûts standard. Une valeur-cible est définie au départ, au niveau politico-
administratif, pour les émissions ou les quantités consommées. Le montant de la taxe prévue dépendra des objectifs de la politique énergétique et climatique. Concrètement, il s’agit de réduire les émissions de CO2, d’encourager l’efficience énergétique et de réduire la consommation d’électricité. Ces efforts conjugués contribueront grandement à sortir du nucléaire et à atteindre les objectifs de la Stratégie énergétique 2050 ainsi que ceux décidés en matière de climat. La taxe sur l’énergie préconisée engloberait aussi bien le courant électrique que les combustibles et les carburants. Dans ces deux derniers cas, le montant de la taxe dépen-
dra du contenu énergétique et des émissions de CO2. Quant à l’électricité, sa consom-
mation sera taxée indépendamment du mode de production (énergie hydraulique, fossile, nucléaire, nouvelles énergies renouvelables[1]), étant donné que la taxe vise à ré-
duire la consommation globale de courant électrique.

Les recettes de la taxe sur l’énergie donneront lieu soit à une rétrocession par tête à la population et à une redistribution aux entreprises en fonction de la masse salariale déclarée à l’AVS, soit à une compensation par des réductions d’impôts et de taxes. Les deux solutions présentent des avantages et des inconvénients. Une réduction voire la suppression d’impôts ou taxes en place permettrait des gains d’efficience supplémentaires et aurait des effets positifs sur le bien-être et la croissance. En effet, tous les impôts classiques (sur le revenu, la fortune, les bénéfices, les transactions ou la consommation) engendrent des distorsions, qui se répercutent notamment sur les incitations à travailler, à économiser et à investir. L’allégement d’un impôt en place déploiera donc des effets d’autant plus marqués en termes d’efficience et de prospérité que son pouvoir de distorsion est important. Autrement dit, une réforme fiscale écologique bien conçue renforcerait la compétitivité de l’économie suisse et créerait de meilleures conditions-cadres pour l’innovation. Les avantages d’une restitution forfaitaire des recettes d’une taxe sur l’énergie à la population et aux entreprises tiennent à ses effets redistributifs: les taxes énergétiques ont un effet régressif, autrement dit elles tendent à grever davantage 
les ménages à bas revenus que les tranches aisées. La redistribution forfaitaire permet de corriger cet effet régressif.

L’expertise Ecoplan


À la demande de l’Office fédéral de l’énergie (Ofen), de l’Administration fédérale des finances (AFF) et de l’Administration fé-
dérale des contributions (AFC), l’institut de recherche Ecoplan a examiné les conséquences économiques d’une réforme fiscale écologique [2]. L’introduction de deux taxes a été analysée, l’une sur le CO2 prélevée sur 
les combustibles et les carburants, l’autre sur l’électricité. Deux scénarios faisant partie des perspectives énergétiques de l’Ofen [3]– 
Mesures politiques du Conseil fédéral (PCF) et Nouvelle politique énergétique (NPE) – ont servi à calculer le montant des taxes requises. La différence essentielle tient aux objectifs atteints en termes de réduction de la consommation. Dans le scénario NPE, les émissions de CO2 baissent de plus de 60% et la demande de courant électrique de plus de 20% jusqu’en 2050. Le scénario PCF, nettement moins ambitieux, montre les majorations de prix nécessaires pour atteindre les objectifs qui résultent de la mise en œuvre du premier train de mesures de la Stratégie énergétique 2050 (voir tableau 1).

Diverses variantes ont été examinées 
pour la redistribution des recettes de la taxe sur l’énergie, dont le montant oscille entre un peu plus de trois et près de 14 milliards selon le scénario et le moment. Outre la 
redistribution forfaitaire aux ménages (par tête), des baisses d’impôts (TVA, impôt sur les bénéfices et sur le revenu) et un allégement des cotisations AVS ont été envisagés. Les commentaires faits ici se limitent aux variantes principales. Dans son étude, Ecoplan a encore examiné des variantes mixtes.

 (impact dynamique sur l’innovation)

Les effets pris en considération par le modèle


Pour bien interpréter les résultats de l’expertise d’Ecoplan, il est essentiel de connaître les effets intégrés dans son modèle d’équilibre et ceux qui ne le sont pas, d’où le concept de triple dividende. Les effets macro- économiques calculés par Ecoplan ne prennent en compte qu’une partie du premier dividende de la taxe sur l’énergie, soit ses bénéfices secondaires, de même que le deuxième dividende (moindres distorsions grâce aux baisses d’impôts). Les bénéfices secondaires résident dans les coûts externes évités ou les avantages en termes d’amélioration de la qualité de l’air, de diminution du nombre d’accidents de la circulation et de diminution du bruit du trafic, etc. Par contre, le modèle ignore la majeure partie du premier dividende, soit les bénéfices primaires sous forme d’externalités évitées (coûts de l’énergie nucléaire et coûts climatiques), ainsi qu’un éventuel troisième dividende (impact dynamique sur l’innovation).

Résultats de l’étude

Un impact macroéconomique limité


L’étude Ecoplan montre que les objectifs visant à réduire la consommation ont une influence majeure sur les coûts macroéconomiques (voir tableau 2). L’introduction d’une réforme fiscale écologique accroîtrait en règle générale la prospérité, si l’on s’en tient aux objectifs en termes de climat et de consommation de courant du scénario PCF. Le niveau des gains de prospérité y varie 
selon la variante de redistribution. Par contre, dans le scénario NPE, plus ambitieux, seule une diminution de l’impôt sur le revenu permettrait des gains de prospérité. Dans toutes les autres variantes de redistribution, cette dernière diminue légèrement. Comme on pouvait s’y attendre, les baisses d’impôts et de taxes sont plus efficientes que la redistribution forfaitaire aux ménages privés (v.1). La réduction de l’impôt sur le revenu (v.5) est la variante aux effets les plus favorables pour la prospérité, non seulement dans le scénario PCF mais aussi dans l’ambitieux scénario NPE. Un allégement des cotisations AVS (v.4) ou une réduction de l’impôt sur le revenu (v.5) sont les variantes à privilégier dans l’optique du marché du travail. Dans les deux scénarios, l’emploi progressera dans le sillage de la réforme fiscale écologique. Enfin, les résultats diffèrent grandement en terme de produit intérieur brut (PIB). Il tire un avantage maximum de la baisse de l’impôt sur les bénéfices (v.3) et de celle de la TVA (v.2), tandis qu’une redistribution forfaitaire aux ménages privés (v.1) constitue la variante la plus dommageable.Au bout du compte, une réforme fiscale écologique ne modifierait en profondeur aucun des paramètres examinés. Les résultats se situent en 2050, à quelques exceptions près, dans une fourchette de –1 à +1% par rapport à la politique énergétique actuelle. Même dans la variante de redistribution, où les pertes de prospérité sont les plus élevées (v.1), cette dernière se situera en 2050 au maximum 0,5% en dessous du niveau qui serait atteint sans réforme fiscale écologique. Cela équivaut à une perte de bien-être de –0,014% par an. En outre, il faut garder à l’esprit que les effets pris en compte par le modèle négligent une bonne partie du premier dividende, comme d’ailleurs la totalité du troisième dividende.

Une redistribution aux effets très différents


Si les effets macroéconomiques se tiennent dans une fourchette étroite, ceux de la redistribution diffèrent sensiblement. Ecoplan les a modélisés à partir des variations subies 
en matière de prospérité par quinze groupes de ménages définis selon des critères socio-économiques (incluant des ménages actifs avec ou sans enfant aussi bien que des retraités aux revenus plus ou moins élevés). À 
l’ex­ception de la redistribution forfaitaire aux ménages privés et aux entreprises (v.1, voir ­graphique 1), toutes les variantes étudiées en matière de réforme fiscale écologique (v.2 à v.5) ont des effets régressifs plus ou moins marqués. La baisse des cotisa-
tions AVS (v.4) a beau être plus ou moins neutre pour les ménages actifs, elle a des 
effets régressifs pour les ménages de retraités. L’étude Ecoplan a identifié dans la réforme fiscale écologique un conflit d’objectifs classique entre l’efficience économique et la neutralité redistributive: plus l’efficience économique augmente, plus l’effet redistributif est régressif, et vice-versa.Dans son mandat du 30 novembre 2011, le Conseil fédéral a recommandé d’éviter autant que possible, dans l’aménagement de la réforme fiscale écologique, les effets régressifs sur la répartition des revenus aussi bien que ce qui pourrait nuire à la compétitivité. En réponse aux exigences du Conseil fédéral, une réforme fiscale écologique devra donc être conçue dans un souci de neutralité 
redistributive, ce qui implique de prévoir, sous une forme ou une autre, une redistribution forfaitaire aux ménages privés. On pourrait par exemple penser à une variante mixte, où les recettes d’une taxe sur l’énergie seraient en partie redistribuées aux ménages et où le reste serait affecté à des baisses 
d’impôts et de taxes.

Effet de répartition pour l'année 2050: scénario NPE, redistribution forfaitaire aux ménages privés, v.1

Arrêté du Conseil fédéral


Le 28 septembre 2012, le Conseil fédéral a chargé le DFF de préparer une réforme fiscale écologique pour la seconde étape de la stratégie énergétique, soit après 2020. Un premier rapport devra être remis d’ici la mi-2013; il fera l’objet d’une audition et présentera diverses variantes sur la conception de la taxe et son mode de remboursement ou de compensation, avec leurs conséquences écologiques et économiques respectives. L’étape suivante consistera à présenter, d’ici la mi-2014, un rapport destiné à la consultation

 

  1. Énergie solaire et éolienne, petites centrales hydrauliques(< 10 MW), biomasse et géothermie. []
  2. Ecoplan, Volkswirtschaftliche Auswirkungen einerökologischen Steuerreform, Berne, 2012. []
  3. Office fédéral de l’énergie, Prognos SA, Ecoplan SA,Die Energieperspektiven 2050 (avec résumé en français),Berne, 2012. []

Proposition de citation: Martin Baur ; Margit Himmel (2012). Réforme fiscale écologique: projets du Conseil fédéral destinés 
à une deuxième étape de la Stratégie énergétique 2050. La Vie économique, 01 novembre.

Encadré 1

Décisions du Conseil fédéral en matière de politique énergétique


25 mai 2011

Le Conseil fédéral se prononce sur la sortie par étapes du nucléaire. Les centrales nucléaires actuelles seront arrêtées à la 
fin de leur durée d’exploitation et ne seront pas remplacées.

 

30 novembre 2011

Le Conseil fédéral charge le DFF d’étudier – dans l’optique d’une réforme fiscale écologique – une taxe incitative sur la consommation d’énergie ainsi que diverses variantes de redistribution des recettes, avec leurs conséquences économiques.

 

27 janvier 2012

Le Conseil fédéral confirme que la réforme fiscale écologique sera un des dossiers-clés de la législature qui commence. 
Il entend présenter un message sur la réforme fiscale écologique décrivant les mesures à prendre pour atteindre l’objectif 6 dont le libellé est le suivant: «L’attractivité et la crédibilité du système fiscal suisse sont renforcées».

 

18 avril 2012

Lors de l’examen du train de mesures sur la mise en œuvre de la Stratégie énergétique 2050, le Conseil fédéral décide de réaliser en deux étapes la réforme du système énergétique. La première vise à en accroître l’efficience, par une réglementation appropriée et des mesures d’encouragement. La seconde, prévue après 2020, consistera à réorienter la politique énergétique et climatique: des mesures 
incitatives remplaceront progressivement celles d’encouragement.

 

28 septembre 2012

Le Conseil fédéral met 
en consultation le premier train de mesures concernant la Stratégie énergétique 2050. Il prévoit, en outre, d’élaborer d’ici la mi-2014, pour 
la deuxième étape, un rapport destiné à la consultation et portant sur une réforme fiscale écologique.