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Parcours types et profils de risque des chômeurs

Parcours types et profils de risque des chômeurs

Une nouvelle étude de la Haute école spécialisée bernoise (HESB) reconstitue les parcours types des personnes touchées par le chômage en se fondant sur les données administratives de lassurance-chômage (AC) et sur la statistique de l’aide sociale. Le profil des groupes de personnes concernés y est établi pour chaque parcours type à l’aide de caractéristiques professionnelles et sociodémographiques. Les facteurs exerçant une influence sur l’appartenance à l’un ou l’autre groupe y sont ensuite analysés au moyen d’un modèle multivarié. L’article ci-contre présente les résultats de cette étude, qui porte sur les années 2004 à 2006.

La Suisse fait partie des pays affichant un bas taux de chômage, mais par rapport aux autres, elle présente une proportion relativement élevée de chômeurs de longue durée
Voir Duell et al. (2010).. Selon l’étude Amosa, le nombre de personnes ne parvenant pas à se réinsérer durablement sur le marché de l’emploi au terme d’une période de chômage est en augmentation
Voir Amosa (2010).. Lorsque le chômage se prolonge et que les recherches d’emploi se multiplient, la réinsertion devient plus difficile et le risque d’une dépendance durable envers les prestations sociales s’accroît
Voir Sheldon (1999).. Après la fin du droit à l’indemnité de chômage (IC), 9,5% des bénéficiaires dépendent des prestations de l’aide sociale.
Voir Fluder et al. (2009a). Dans cette situation, il peut être intéressant de s’interroger sur le parcours des personnes ayant perdu leur emploi de même que sur leurs caractéristiques, afin de mieux connaître les risques liés à un chômage de longue durée, à une situation nécessitant l’intervention conjointe de l’AC et de l’aide sociale (AS), ainsi qu’à des périodes de chômage répétées.Les résultats de l’étude, qui repose sur une précédente enquête concernant les passages entre AC, AS et AI et utilise la même base de données, sont présentés ci-après. Ses auteurs se sont intéressés en priorité à la durée et à la fréquence de sollicitation des prestations de l’AC par les nouveaux chômeurs, ainsi qu’à la question de savoir si ces per-sonnes font appel simultanément ou ultérieurement à l’aide sociale. C’est sur cette base qu’est établie une typologie des parcours des bénéficiaires de prestations ainsi que le profil sociodémographique des personnes caractéristiques de chaque parcours type. Il s’agit, dans ce cadre, de répondre aux questions suivantes:− quelles sont les particularités sociodémographiques différenciant les groupes de personnes composant les divers parcours types?− peut-on identifier les groupes de personnes présentant un risque accru de dépendre durablement de prestations so-ciales ou ceux qui ne parviennent pas à inscrire leur indépendance économique dans la durée (pendulaires, travailleurs pauvres)?Il s’agit en l’occurrence de personnes recevant des indemnités de chômage pendant un laps de temps variable ou à une fréquence variable, qui bénéficient simultanément de prestations de l’AC ou de l’AS, ou qui touchent l’aide sociale après avoir bénéficié d’indemnités de chômage.

Indications méthodologiques

Base de données


L’étude se fonde sur la base de données constituée pour le projet Quantification des passages entre les différents systèmes de sécurité sociale
Voir Fluder et al. (2009a). à partir des données administratives de l’AC (Plasta/Sipac), de l’AI (registre des rentes AI et indemnités journalières AI) et de la statistique de l’aide sociale pour les années 2004 à 2006. Des périodes d’allocation ont été définies au mois près dans les deux sys-tèmes de prestations AC et AS, au moyen d’un dispositif précis d’identification des personnes. Il est ainsi possible de définir des parcours types et de déterminer leurs caractéristiques. Les chiffres utilisés présentent toutefois quelques lacunes
Les transferts à l’aide sociale n’ont ainsi pas tous pu être reconnus comme tels, en raison du caractère incomplet des données relatives aux dossiers de l’aide sociale en 2004 et de l’impossibilité d’identifier les autres personnes vivant dans les ménages assistés. Pour plus de détails à ce sujet, voir Fluder et al. (2009b).; c’est pour cette raison que les parcours dans lesquels l’aide sociale intervient également sont plutôt sous-estimés.

Populations concernées


Cette étude s’intéresse aux personnes qui ont touché leurs premières indemnités de chômage au cours du 1er semestre 2004
Il s’agit de la période allant de février à juin 2004, car pour des raisons de méthodologie, les chômeurs qui ont touché leurs premières indemnités en janvier n’ont pas été pris en compte. Ceux qui ont aussi bénéficié de prestations de l’AI durant la période d’observation n’ont pas non plus été pris en considération., soit 48 187 personnes, pour lesquelles des pé- riodes d’allocation d’IC et d’AS ont été déterminées et classées chronologiquement: 88,7% d’entre elles ont touché uniquement des IC entre 2004 et 2006, tandis que 11,3% ont également bénéficié de prestations de l’aide sociale. L’interprétation de ces chiffres doit tenir compte du fait qu’avec une durée d’allocation maximale de 400 ou 520 indemnités journalières de chômage, les personnes qui ont commencé à percevoir des IC en juin 2004 ne peuvent être suivies que durant 12 ou 6 mois; la période d’observation est donc limitée.

Définition d’une typologie des parcours


La constitution d’une typologie des parcours nécessite de connaître la durée et la fréquence des sollicitations envers l’IC, l’existence ou non d’un appui de l’aide sociale ainsi que le mode de passage d’un système à l’autre. Lorsque la période d’IC ne dépasse pas 12 mois, on parle d’IC de courte durée, et lorsqu’elle dure davantage, on parle d’IC de longue durée. Les critères mentionnés ont permis de définir 12 parcours types en fonction de la combinaison des systèmes sollicités et de l’ordre de passage de l’un à l’autre.

Douze parcours types


Pour identifier le parcours, il faut déterminer s’il s’agit d’IC de courte ou de longue durée (que celles-ci aient été perçues durant une ou plusieurs périodes), si l’aide sociale a dû être activée et si cette dernière a versé des prestations pendant les IC ou plus tard. On obtient la durée d’indemnité en additionnant toutes les périodes d’IC avant l’intervention de l’aide sociale ou pendant la période où les deux systèmes sont activés en parallèle.Comme on le voit dans le tableau 1, 40,9% des personnes qui touchent des IC pour la première fois au 1er semestre 2004 sont des allocataires de courte durée (les IC durent moins de 6 mois pour 60% d’entre eux), et un quart des dossiers concernent des IC de longue durée. Les bénéficiaires sont 22,1% à toucher des IC sur plusieurs périodes pendant la durée de l’observation, leur cumul s’étendant sur plus de 12 mois pour environ deux tiers d’entre eux. À la fin des trois années d’observation, 30% recevaient encore des IC. Près de la moitié des nouveaux chômeurs touchent exclusivement des IC pendant moins d’un an et 39% pendant plus d’une année. Plus de 10% des chômeurs émargent également à l’aide sociale après avoir bénéficié d’indemnités de chômage, 6,1% sollicitent – au moins pendant un certain temps – l’AC et l’AS de manière simultanée, et pour 1,4%, cette période combinant IC et AS n’est pas suivie, lorsque les IC s’arrêtent, d’une période d’allocation de prestations de l’aide sociale.Sur la totalité des nouveaux chômeurs, 1,6% bénéficient des prestations de l’aide sociale après avoir touché des IC pendant une courte période. Parmi eux, 40% ont déjà demandé le soutien de l’aide sociale pendant la période de chômage et la moitié environ obtiennent l’aide sociale après une période sans prestations d’aucune sorte. Il y a plusieurs raisons de solliciter l’aide sociale après une brève période de chômage. Il peut d’abord s’agir de personnes ayant retrouvé un emploi mais dont le salaire ne permet pas de couvrir les besoins vitaux. Une prestation complémentaire est donc nécessaire. Il peut aussi s’agir de personnes qui ne sont pas (ou plus) aptes au placement (p. ex. pour des raisons de santé, mais qui n’ont pas [encore] droit aux prestations de l’AI). Une partie d’entre elles sont libérées des conditions relatives à la période de cotisation et arrivent déjà en fin de droit après une année
Suite à la 4e révision de la LACI, la durée maximale de soutien des personnes libérées des conditions relatives à la période de cotisation est passée depuis le 1er avril 2011 de 260 à 90 jours. Le nombre de personnes présentant ce type de parcours devrait donc augmenter à l’avenir.. Les jeunes adultes arrivant au terme de leur formation devraient être les plus nombreux dans ce cas.Parmi les nouveaux chômeurs, 5,3% dépendent de l’aide sociale après avoir bénéficié d’IC pendant une période prolongée. La moitié d’entre eux ont sollicité le soutien de l’aide sociale juste après avoir touché des indemnités de chômage, et une autre partie a déjà engagé des démarches dans ce sens pendant la période d’IC. Nous avons utilisé l’expression «pendulaires» pour qualifier les personnes qui sont passées plusieurs fois du système d’assurance-chômage à celui de l’aide sociale
Ce groupe comprend également des personnes qui ont bénéficié de l’aide sociale dans les mois précédant leurs premières indemnités de chômage au cours du premier semestre 2004 et qui sont donc passées de l’AS à l’AC, avant de repasser de l’AC à l’AS. et qui représentent environ 3% des nouveaux chômeurs. Cette catégorie englobe les travailleurs pauvres qui ont trouvé une activité rémunérée, mais dépendent néanmoins des prestations de l’aide sociale; plus tard, ils perdent à nouveau leur emploi en raison de la précarité de leur situation et sollicitent à nouveau des IC. Près de la moitié d’entre eux touchent l’aide sociale à la fin des trois ans d’observation, et 40% sont déjà dans cette situation au moment de commencer à bénéficier d’IC.

Profils de risque


Quelles sont les caractéristiques des groupes de personnes constituant les différents parcours types? Qui, parmi les nouveaux chômeurs, a davantage de risques de dépendre durablement des prestations de chômage ou de l’aide sociale?Parmi les groupes d’âges, ce sont surtout les jeunes adultes (18 à 25 ans) qui recourent le plus fréquemment aux prestations sociales pendant une ou plusieurs courtes périodes. Il leur arrive particulièrement souvent de solliciter l’aide sociale après avoir touché brièvement des indemnités de chômage. Une partie d’entre eux pourraient être libérés des conditions relatives à la période de cotisation et arriver en fin de droit après une année seulement, nécessitant ainsi des prestations d’aide sociale. Les jeunes adultes trouvent souvent un emploi relativement vite, mais ils courent davantage que les autres groupes d’âge le risque d’être exposés à des conditions de travail précaires. Par comparaison, les personnes plus âgées, lorsqu’elles se retrouvent sans emploi, appartiennent plus souvent à la catégorie des chômeurs de longue durée et ont souvent besoin, ensuite, du secours de l’aide sociale.En ce qui concerne la répartition par sexe, les estimations sont limitées aux personnes non mariées, de par les données disponibles. On observe ici que les femmes passent plus souvent par l’aide sociale que les hommes. Il pourrait s’agir au premier chef de femmes élevant seules leurs enfants et qui, avec ces derniers à charge, ne peuvent travailler qu’à temps partiel. Les femmes sont, en outre, plus souvent employées dans des secteurs à faible rémunération et soumises à des conditions de travail précaires.Les personnes divorcées nécessitent aussi plus souvent que les autres chômeurs des indemnités de chômage suivies de prestations de l’aide sociale, des prestations des deux systèmes en parallèle ou un aller-retour entre les systèmes (pendulaires). Ces personnes ont donc davantage de risques, en cas de chômage, de devoir solliciter des prestations sociales durablement et de manière répétée.Pour les graphiques 1 et 2, nous avons réduit la typologie à 6 types. Ainsi que le montre le graphique 1, les personnes soumises à obligation d’entretien sont plus souvent présentes parmi les pendulaires et les bénéficiaires de prestations combinées ou d’aide sociale. Leurs possibilités de travail sont limitées en raison des enfants à charge; compte tenu du coût d’entretien de ces derniers, les IC ou le revenu de l’activité lucrative ne permettent souvent pas de couvrir les besoins vitaux de l’ensemble du ménage.Suivant leur nationalité, les chômeurs connaissent aussi des parcours spécifiques. Ils sont 17,6% à être issus de pays n’appartenant ni à l’UE, ni à l’AELE. Ces personnes, et en particulier les ressortissants extra-européens, dépendent nettement plus souvent que les chômeurs de l’UE ou de l’AELE dIC de longue durée ou des prestations de l’aide sociale. À l’inverse, les citoyens suisses sont nettement plus représentés parmi les bénéficiaires d’IC de courte durée que le reste des chômeurs.Les différences imputables au niveau de formation sont particulièrement marquantes. Près d’un tiers des nouveaux bénéficiaires d’IC n’ont aucune formation professionnelle. Ces personnes sont particulièrement surreprésentées parmi les pendulaires et les bénéficiaires d’IC de longue durée et de prestations de l’aide sociale (voir graphique 2). Une personne sans formation professionnelle qui perd son emploi a donc un risque particulièrement élevé de dépendre durablement des prestations sociales. Ce constat montre bien qu’il est difficile pour une personne au chômage sans les qualifications requises par le marché du travail de trouver un emploi sûr et suffisamment rétribué. À l’inverse, les personnes au bénéfice d’une formation professionnelle et en particulier d’une formation tertiaire sont nettement plus représentées que les autres parmi les allocataires d’IC de courte durée. On retrouve le même schéma en ce qui concerne la profession et la branche. Ce sont en particulier les personnes employées dans les branches à bas salaires et soumises à des conditions précaires qu’on retrouve le plus fréquemment parmi les bénéficiaires d’aide sociale ou de prestations combinées.Les facteurs influençant l’appartenance à l’un ou l’autre de ces parcours ont en outre été estimés selon un modèle de régression de type logit multinomial. Celui-ci prend en compte les caractéristiques sociodémographiques, l’origine (contexte de migration), les ressources individuelles (formation, statut professionnel) ainsi que les spécificités du marché du travail (type de profession, région). Ce modèle identifie également les personnes divorcées, les personnes soumises à obligation d’entretien, les ressortissants de pays non UE/AELE (en particulier extra-européens) et les personnes sans formation professionnelle comme les groupes qui risquent le plus de connaître un parcours de pendulaires ou d’allocataires de l’aide sociale. Les personnes de plus de 45 ans ont davantage de risques de dépendre durablement d’indemnités de chômage et de prestations de l’aide sociale. Il apparaît donc que la probabilité d’appartenir à l’un ou à l’autre de ces parcours types dépend à la fois de la situation personnelle de chacun et de facteurs liés au marché de l’emploi.

Perspectives


La présente étude est un projet-pilote. La limitation de la période d’observation aux années 2004 à 2006 induit diverses restrictions. Trois ans, c’est court lorsqu’il s’agit d’identifier exactement et systématiquement le parcours des personnes ayant recours à l’aide sociale – en particulier celui des pendulaires et des personnes dépendant durablement d’une telle aide – et de les regrouper par type. De plus, des analyses approfondies sont nécessaires pour déterminer avec précision l’influence de la profession, des mesures relatives au marché du travail et des spécificités régionales de ce marché. Les auteurs suggèrent par conséquent de répéter et d’affiner les analyses avec des données améliorées, actualisées et détaillées. D’importantes informations supplémentaires pourraient être obtenues s’il était possible d’identifier précisément une activité professionnelle consécutive (ou parallèle) à une période de chômage (par exemple grâce aux données relatives au revenu des caisses de compensation de lAVS). Ces analyses permettraient de rendre compte des conséquences des révisions de lois ou des changements dans la pratique de l’aide sociale en termes d’intégration sur le marché du travail.

Graphique 1: «Proportion de nouveaux chômeurs soumis à obligation d’entretien par parcours type»

Graphique 2: «Proportion de nouveaux chômeurs sans formation professionnelle par parcours type»

Tableau 1: «Différents types de parcours des bénéficiaires d’IC»

Encadré 1: Bibliographie

Bibliographie


− AMOSA, Observatoire du marché du travail Suisse orientale, Argovie et Zoug, Wiederholte Arbeitslosigkeit, Situation und Massnahmen, Office de l’économie et du travail du canton de Zurich, 2010.− Duell Nicola, Tergeist Peter, Bazant Ursula et Cimper Sylvie, Activation Policies in Switzerland, documents de travail de l’OCDE sur les affaires sociales, l’emploi et les migrations, n˚ 112, Publications de l’OCDE, 2010.− Fluder Robert, Graf Thomas, Ruder Rosmarie et Salzgeber Renate, Quantifizierung der Übergänge zwischen Systemen der Sozialen Sicherheit (IV, ALV und Sozialhilfe), Rapport de recherche n˚1/09, Berne, OFAS, 2009a.− Fluder Robert, Graf Thomas, Ruder Rosemarie et Salzgeber Renate, Quantifizierung der Übergänge zwischen Systemen der Sozialen Sicherheit (IV, ALV und Sozialhilfe), Methodenband Bern, HESB, 2009b.− Sheldon George, Die Langzeitarbeitslosigkeit in der Schweiz, Diagnose und Therapie, Hauptverlag, Berne, 1999.

Proposition de citation: Robert Fluder (2011). Parcours types et profils de risque des chômeurs. La Vie économique, 01 septembre.