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La réforme des systèmes de retraite en Europe

La réforme des systèmes de retraite en Europe

Les deux dernières décennies ont été marquées par une série de réformes des systèmes de retraite, pratiquement dans tous les pays d’Europe. Celles-ci visent, en général, à les viabiliser financièrement, dans un contexte de vieillissement démographique. Globalement, on assiste à une généralisation du modèle des trois piliers. Toutefois, le caractère facultatif des régimes en capitalisation dans la plupart des pays préfigure le retour d’importantes inégalités face à la retraite.



Au cours des prochaines décennies, l’Europe devra affronter un vieillissement démographique particulièrement marqué, dû essentiellement à la baisse des taux de natalité à partir de la fin des années soixante. Ce processus a des conséquences majeures sur la viabilité financière des systèmes de retraite mis en place dans l’après-guerre. Concrètement, un rapport entre actifs et retraités de moins en moins favorable et un allongement régulier de l’espérance de vie moyenne rendent le financement de cet acquis social de plus en plus difficile.C’est essentiellement pour faire face à des problèmes de financement que pratiquement tous les pays européens ont dû, au cours des deux dernières décennies, réformer leurs retraites. Ces réformes se caractérisent généralement par un double mouvement. D’une part, les régimes publics financés en répartition subissent des réductions plus ou moins importantes. De l’autre, on tente de développer des instruments financés en capitalisation, soit au niveau collectif (branche ou entreprise), soit au plan individuel.Ce processus de réforme ne se fait, toutefois, pas sans problèmes. Très souvent, les tentatives de réduire les prestations versées par les régimes de retraite publics débouchent sur des mouvements de protestation massifs. Les grèves qui ont perturbé la France durant l’automne 2010 n’en sont que l’exemple le plus récent. À plusieurs reprises, des gouvernements ont même été contraints de retirer leur projet de loi (en Italie en 1994 et en France en 1995). Bref, les régimes de retraite restent extrêmement populaires et les tentatives d’en réduire le niveau se heurtent forcément à des obstacles majeurs.Une deuxième difficulté concerne la généralisation des régimes de retraite financés en capitalisation. La plupart des pays qui ont réduit les prestations des régimes publics ont, en même temps, adopté des mesures visant à étendre la couverture des régimes en capitalisation (équivalents aux IIe et IIIe piliers suisses). En général, toutefois, la population couverte par ces nouveaux instruments reste limitée, ce qui suggère le retour d’inégalités importantes face à la retraite dans la plupart des pays européens.

Les mesures adoptées

Le relèvement de l’âge de la retraite


Mesure très impopulaire, le relèvement de l’âge de la retraite n’a, en général, été adopté qu’après plusieurs autres interventions et avec des longues périodes de transition. L’Allemagne va ainsi graduellement relever l’âge de la retraite de 65 à 67 ans entre 2012 et 2029. Pour la France, le relèvement sera de 60 à 62, effectif en 2018. En Grande-Bretagne, l’accès à la rente de base («basic pension») sera possible à partir de 66 ans dès 2024 et à partir de 68 ans dès 2046.

La capitalisation notionnelle


Plusieurs pays ont adopté à partir de la moitié des années nonante des systèmes de retraite basés sur le principe de la capitalisation notionnelle du type «notional defined contribution» (NDC). Les systèmes NDC visent à combiner un financement en répartition avec le mode de calcul typique des systèmes financés en capitalisation. Ainsi, les rentes versées à l’âge de la retraite sont généralement calculées en multipliant un capital notionnel, autrement dit la somme des cotisations versées pendant la carrière professionnelle revalorisées en fonction d’un taux d’intérêt, par un coefficient de conversion. L’objectif principal de ce modèle est d’instaurer un lien étroit entre les cotisations versées et les rentes vieillesse obtenues par chaque bénéficiaire, tout en maintenant un système financé par répartition. Des systèmes de capitalisation notionnelle ont été introduits en Italie, en Suède et dans plusieurs ex-pays communistes (Lettonie, Pologne, Slovaquie).Dans le cas italien, par exemple, le montant de la rente correspond à la somme des cotisations versées et revalorisées sur la base du taux de croissance du PIB pendant les cinq années précédant le départ à la retraite, après multiplication par un coefficient de conversion. Ce dernier est unisexe, mais varie en fonction de l’âge au moment du départ à la retraite. Les coefficients de conversion sont censés être adaptés tous les 10 ans pour tenir compte de l’évolution de l’espérance de vie. En 2010, le coefficient de conversion pour une personne (homme ou femme) qui prenait sa retraite à 65 ans était de 5,62%. Il comprend une protection partielle contre l’inflation.

La retraite à la carte


La notion de «retraite à la carte» fait référence à plusieurs formes de flexibilité: d’une part, la possibilité de choisir l’âge du départ à la retraite (avec diminution ou augmentation de la rente en fonction du choix); de l’autre; la possibilité d’obtenir une rente partielle. Ces deux possibilités existent dans plusieurs pays de l’OCDE.Quelques pays sont allés plus loin et ont supprimé la notion d’âge de la retraite ordinaire et l’ont remplacée par un seuil minimum et des rentes de niveau différent en fonction de l’âge de la retraite choisi. En Suède, par exemple, un départ en retraite est possible dès 61 ans, mais avec un montant relativement bas. Ensuite, plus on retarde le départ, plus la rente sera élevée. Des rentes partielles ont également été introduites dans plusieurs pays, notamment en Allemagne, France et Suède. Dans ces pays, plusieurs taux partiels de rente (par exemple 33%, 50% ou 66%) peuvent être choisis, ce qui encourage la combinaison de la rente avec une activité professionnelle à temps partiel. Les revenus obtenus grâce à l’emploi à temps partiel sont pris en compte lors du passage à une rente complète, ce qui peut constituer une incitation à poursuivre l’activité à temps partiel.

Les mécanismes auto-adaptatifs


Ces mécanismes visent à garantir l’équilibre financier des systèmes de retraite dans le long terme en créant un lien mécanique et automatique entre les paramètres qui déterminent le montant des rentes et les variations économiques et démographiques pertinentes. Typiquement, ces mécanismes concernent la revalorisation des rentes ou du salaire de référence pour leur calcul. En Allemagne, la revalorisation des rentes en cours et des paramètres de calcul des nouvelles rentes dépend du rapport entre cotisants et retraités. En Suède, la revalorisation dépend du rapport entre réserves et engagements du système de retraite. Au Pays-Bas, la revalorisation de rentes n’a, en principe, lieu que si le rapport entre le nombre de bénéficiaires de prestations sociales et le nombre d’actifs dépasse un certain seuil.Ces mécanismes permettent de dépolitiser des décisions potentiellement très contro-versées ayant trait aux montants versés aux retraités. En même temps, ils sont susceptibles d’assurer l’équilibre financier des régimes. L’exemple suédois est particulièrement intéressant. Le mécanisme se base sur le rapport entre les actifs et les passifs du système. Lorsque ce dernier passe en dessous de 1, les rentes (actuelles et futures) sont réduites de manière à rétablir l’équilibre financier. Ce mécanisme a été utilisé pour la première fois en 2010. En effet, suite à la crise économique, les perspectives financières du système suédois s’étaient passablement détériorées. L’application du mécanisme a provoqué une baisse des rentes se situant entre 1 et 3% (en fonction du niveau). Même s’il est automatique, le mécanisme a suscité passablement d’oppositions et son impact a été quelque peu adouci par une augmentation des déductions fiscales dont bénéficient les retraités.

La prise en compte de la pénibilité du travail


Certains pays ont adopté des mesures visant à prendre en compte la pénibilité du travail dans le calcul des rentes de vieillesse. En Italie, par exemple, une année de travail dans une activité considérée comme pénible («lavori usuranti») équivaut à 14 mois de cotisations. Les cotisations supplémentaires obtenues grâce à ce système peuvent correspondre au maximum à 5 ans. Toutefois, la mise en œuvre de cette mesure est pour l’instant incomplète, étant donné que la liste détaillée des professions considérées comme pénibles n’est toujours pas disponible.En France, gouvernement et syndicats ont longtemps cherché un terrain d’entente pour prendre en compte la pénibilité du travail dans le système de retraite. Une mesure allant dans ce sens a été incluse dans la réforme de 2010: elle maintient l’âge de la retraite à 60 ans pour les travailleurs faisant état d’une incapacité de travail d’au moins 20% (ou 10% dans certains cas) et reconnue comme résultant de l’activité professionnelle exercée.Dans certains cas, la pénibilité de la vie active a été prise en compte en considérant sa durée et l’âge d’entrée sur le marché du travail. En Italie, les périodes de cotisation accomplies avant l’âge de 18 ans sont multipliées par un facteur de 1,5. En France, le départ à la retraite est possible dès l’âge de 60 ans à condition de disposer d’un nombre de trimestres de cotisations suffisant. Seuls ceux qui ont commencé leur vie professionnelle tôt profitent de ce traitement relativement favorable. En Allemagne, le relèvement de l’âge de la retraite à 67 ans ne concerne pas ceux qui à 65 ans auront accumulé 45 années de cotisations.

Des incitations à retarder le départ à la retraite


Plusieurs pays européens ont également adopté des mesures d’incitation visant à retarder le départ à la retraite. Si elles varient d’un pays à l’autre, le principe est identique: le montant des rentes est réduit en cas de retraite avant l’âge légal et augmenté en cas de retraite après cette date, dans les deux cas bien au-delà de ce que prévoit le calcul actuariel. Par exemple, en Italie, la réforme de 2004 a introduit une incitation, dite «superbonus», qui récompense les salariés qui renoncent à exercer leur droit à une retraite anticipée en leur versant la totalité des cotisations dues sur leur salaire (parts patronale et salariale). L’augmentation de revenu qui en découle correspond à 32,7%. En Finlande, le «rendement» des cotisations versées augmente avec l’âge. Chaque année de cotisation entre 18 et 52 ans donne droit au remplacement de 1,5% du salaire assuré. Ce taux monte à 1,9% pour des cotisations versées entre 53 et 62 ans et atteint 4,5% après 63 ans. Il s’agit d’une incitation très forte à prolonger de quelques années la durée de la vie active.

Les mécanismes de préfinancement


Plusieurs pays ont mis en place des fonds de réserve ayant pour but de contribuer au financement des régimes de retraite dans la phase la plus critique au plan financier, soit dans les années où les générations du «baby boom» atteindront l’âge de la retraite. En effet, s’il est vrai que le financement des retraites par répartition sera problématique à l’avenir, il est aussi vrai que, du fait de la pyramide des âges qui caractérise les pays occidentaux, le nombre de départs à la retraite diminuera après 2030-2035. La phase la plus problématique du point de vue financier se situe donc entre 2030 et 2040-2045. Après cette période, la situation financière des ré-gimes par répartition pourrait s’améliorer. En France, le Fonds de réserve pour les retraites (FRR) a été introduit en 1999 et est alimenté par différentes sources (une part du prélèvement social sur les revenus du patrimoine et des placements, les excédents de la Caisse nationale d’assurance vieillesse, le produit des privatisations, etc.). Aux Pays-Bas, le fond de réserve AOW a été créé en 1997. Il est alimenté par les excédents fiscaux annuels. Ces deux fonds sont censés contribuer au financement des régimes de retraite français et néerlandais à partir de 2020. Dans le cas de la Suède, un mécanisme de préfinancement a été «hérité» du passé. En effet, l’ancien système de retraite a accumulé d’importantes réserves depuis les années soixante. Même si l’objectif principal de ces fonds n’était pas d’instaurer un mécanisme de préfinancement, une partie importante dentre eux reste disponible.

Le renforcement de la capitalisation


Parallèlement à la réduction des prestations adoptée dans les régimes en répartition, la plupart des pays européens ont adopté des mesures visant à favoriser le développement de régimes supplémentaires financés en capitalisation. En Italie, il est, par exemple, possible depuis 1992 de mettre sur pieds des fonds de pension au niveau des branches économiques ou des entreprises. Les assureurs peuvent également proposer des fonds dits «ouverts» auprès desquels peuvent s’assurer les employeurs qui ne disposeraient pas d’un fond de branche. Le développement de ces fonds de pension reste toutefois limité. Le nombre d’assurés est en constante augmentation depuis l’introduction de la nouvelle législation, mais en 2009 seuls 32% des actifs du secteur privé disposaient d’une couverture retraite supplémentaire.L’Allemagne a aussi adopté des mesures visant à compenser la baisse des prestations servies par l’assurance vieillesse légale par l’expansion des régimes en capitalisation. Un des éléments clés de cet effort est constitué par les «Riester Renten» introduites en 2001 par le ministre SPD des affaires sociales de l’époque Walter Riester. Il s’agit d’instruments individuels, mis à disposition par des sociétés d’assurance ou banques, qui peuvent bénéficier de déductions fiscales ou, pour des assurés à bas revenu, de subsides. Les «Riester Renten» ont connu un décollage relativement lent. En 2009, environ un tiers des personnes éligibles disposait d’un tel produit.

Vers un modèle à plusieurs piliers?


Ce survol synthétique des principales mesures adoptées dans le cadre d’environ deux décennies de réformes des retraites en Eu-rope fait état d’une convergence vers un système à plusieurs piliers. En effet, les réformes décrites ci-dessus concernent surtout des pays qui pendant les années de l’aprèsguerre ont misé l’essentiel de leur protection vieillesse sur un seul pilier publique. La réduction de ce dernier et le développement des régimes en capitalisation rapproche beaucoup ces pays de la Suisse, qui connaît un système à plusieurs piliers depuis les années quatre-vingt. Toutefois, la plupart des pays concernés n’ont pas souhaité aller aussi loin que la Suisse en rendant obligatoire l’affiliation à un deuxième pilier. Pour cette raison, la couverture de ce type d’instrument reste limitée, autour de 30% dans des pays comme l’Allemagne ou l’Italie. Ce double mouvement aboutira probablement à plus d’inégalités face à la retraite et à une situation qui rappelle celle de la Suisse avant l’introduction de la loi sur la prévoyance professionnelle en 1985.

Encadré 1: Références bibliographiques

Références bibliographiques


− Bonoli G., The Politics of Pension Reform. Institutions and Policy Change in Western Europe, Cambridge, 2000, Cambridge University Press.− Bonoli G., «Two Worlds of Pension Reform in Western Europe», Comparative Politics, 35, 2003, p. 399–416.− Bonoli G., Bertozzi F. et Wichmann S., Adaptation des systèmes de retraite dans les pays de l’OCDE: quels modèles de réforme pour la Suisse?, Berne, 2008, Office fédéral des assurances sociales.− Bonoli G. et Palier B., «When Past Reforms Open New Opportunities: Comparing Old-age Insurance Reforms in Bismarckian Welfare Systems», Social Policy and Administration, 41, 2008, p. 21-39.− Bonoli G. et Shinkawa T. (éd.), Pension reform around the world. Evidence from eleven countries, Chelthenam, 2005, Edward Elgar.− Immergut E. M., Anderson K. M. et Schulze I. (éd.), Oxford Handbook of West European Pension Politics, Oxford, 2007, Oxford University Press.− Palier B., La réforme des retraites, Coll. Que sais-je?, n° 3667, Paris, 2010, PUF.

Proposition de citation: Giuliano Bonoli (2011). La réforme des systèmes de retraite en Europe. La Vie économique, 01 janvier.