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Prix des matières premières agricoles: Malthus avait-il raison?

Pendant plus d'un siècle, l'agriculture mondiale a produit toujours plus de denrées alimentaires pour toujours plus de gens et à des prix toujours plus bas. Elle faisait mentir ainsi les sombres prévisions de Malthus. Le tournant du millénaire marque toutefois la fin de cette ère. Depuis le début des années 2000, en effet, les prix agricoles ont grimpé. La raison en est simple: la demande mondiale en produits alimentaires progresse actuellement plus rapidement que l'offre, une évolution qui se poursuivra durant les décennies à venir. Pendant la première moitié du XXIe siècle, la demande en biens alimentaires doublera, sous l'effet conjugué d'un accroissement de 50% de la population mondiale et de l'amélioration des revenus dans les pays en développement, qui fera sensiblement augmenter la consommation par habitant. Un échec dans la lutte contre la faim donnerait alors raison à Malthus.

 

La demande continuera d’excéder l’offre


La croissance de l’offre ne parviendra pas à se maintenir au rythme de la demande pour plusieurs raisons. D’abord, parce que les réserves de terre disponibles pour la production agricole sont limitées. D’ici 2020, les terres arables pourront être étendues de seulement 5% environ dans le monde. L’accroissement de la production nécessaire à couvrir en quantité suffisante les besoins alimentaires d’une population mondiale en rapide expansion devra, par conséquent, venir presque exclusivement d’une intensification de la productivité des surfaces déjà exploitées à des fins agricoles. Ce défi s’annonce difficile à relever, car la croissance de la productivité recule depuis de nombreuses années. Ce ralentissement s’explique par la diminution des travaux en agronomie, avant tout dans les pays riches où ont lieu la plupart des activités de recherche. Il s’explique également par le fait que les laboratoires se heurtent de plus en plus à un épuisement du potentiel – exploitable par les méthodes traditionnelles – que les plantes utiles et les animaux de rente présentent en matière de rendement.

Un coût élevé de production…


Dans le monde, 70% de la consommation en eau est destinée à l’agriculture. L’eau devient pourtant de plus en plus rare et de plus en plus chère. Qui plus est, l’agriculture moderne fait partie des branches économiques gourmandes en énergie. La hausse des prix de ce dernier facteur fait augmenter les coûts et donc diminuer la production. Enfin, le développement fulgurant des terres consacrées à la production des biocarburants a lui aussi contribué à renchérir les prix en retirant des terres et d’autres facteurs de production de la chaîne des denrées alimentaires.

…et des prix agricoles, ce qui pèse sur les pays en développement


Si une hausse des prix agricoles est une bonne nouvelle pour les agriculteurs, elle a aussi pour effet d’aggraver la faim et la malnutrition dans le monde, en particulier dans les pays pauvres. Aujourd’hui, plus de 850 millions de personnes souffrent de malnutrition. Elles survivent avec un revenu égal voire inférieur à un USD par jour, qu’elles dépensent principalement en biens alimentaires. Si les prix de ces derniers se maintiennent à un haut niveau pendant longtemps, les personnes démunies dans les pays en développement auront de plus en plus tendance à allumer des feux de brousse pour gagner de nouvelles surfaces agricoles utiles et assurer ainsi les bases de leur existence. Aujourd’hui, la culture sur brûlis est l’une des principales causes des changements climatiques anthropiques. Quelque 18% des gaz à effet de serre sont libérés par des feux de brousse. Ceux-ci contribuent davantage aux changements climatiques que la production industrielle ou les transports dans le monde. Par conséquent, les gains de productivité dans l’agriculture sont d’une importance centrale non seulement pour couvrir les besoins alimentaires de la planète, mais aussi pour sauvegarder le climat.

Une stratégie prometteuse dans la lutte contre la faim


Toute stratégie de lutte contre la faim dans le monde n’aura de chances de succès que si elle s’articule autour de cinq grands axes au moins. Premièrement, il faut continuer à augmenter la productivité de l’agriculture mondiale en favorisant la recherche et la formation ainsi qu’un usage plus intensif des terres. Deuxièmement, la production de bioénergie doit miser de préférence sur la valorisation des déchets, ou alors s’effectuer sur des terres qui ne conviennent pas à la production alimentaire. Troisièmement, il convient de libéraliser les échanges agricoles dans le monde, sans créer de distorsions au niveau des incitations économiques. Pour cela, il faut que les pays riches suppriment les subventions agricoles, mais aussi que les pays en développement cessent de maintenir les prix à la production à un niveau artificiellement bas. Quatrièmement, il y a lieu d’instituer un système d’entraide alimentaire, sous la forme d’un secours d’urgence en cas de brusque hausse des prix. Cinquièmement, l’aide au développement nationale et internationale doit recentrer ses efforts sur l’agriculture, qui demeure la principale branche économique des pays pauvres.

Proposition de citation: Harald von Witzke (2008). Prix des matières premières agricoles: Malthus avait-il raison. La Vie économique, 01 septembre.