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Reculer pour mieux sauter

Reculer pour mieux sauter

La situation financière de l’assurance-invalidité (AI) est extrêmement critique. L’ensemble des dépenses est passé, de 1990 à 2004, de 4,133 milliards à 11,096 milliards de francs. Cela correspond à une augmentation de 168% en 14 ans. Parallèlement, les recettes ont progressé à une vitesse nettement inférieure, ce qui fait qu’en 2004 il manquait 1,6 milliard de francs. Le compte capital présentait en outre un solde négatif sous la forme d’une dette de 6 milliards de francs auprès du fonds de compensation. Par rapport à l’ensemble du produit intérieur brut (PIB) suisse, la part de l’AI peut sembler modeste, mais l’apparence est trompeuse. En effet, dans le domaine des assurances sociales, la dynamique est de première importance. C’est ainsi que le PIB, de 1990 à 2002, n’a augmenté que de 31,5%, soit cinq fois moins que les dépenses de l’AI: les dépenses pour les assurances sociales (jusqu’en 2003) ont progressé de leur côté de 85,5%, soit près de la moitié.

Une situation financière encore pire que prévu


En réalité, les résultats de l’AI sont encore en deçà de la réalité. Le passage à la nouvelle péréquation financière (RPT) a permis de s’apercevoir qu’il n’existait pas de régularisation systématique en fin de période dans la comptabilité de l’AI. Les subventions pour la construction et l’exploitation ne sont pas imputées lors de leur autorisation, mais une fois payées. A la clôture des comptes, les créances potentielles ne sont pas prises en compte. C’est ainsi que, au moment du passage à la RPT, le montant des créances est estimé à 2,4 milliards de francs pour les établisse-ments pour personnes handicapées et pour les écoles spéciales. La moitié de ce montant doit être assumé par les assurés, l’autre moitié pour trois quarts par la Confédération et un quart par les cantons. Une entreprise qui sur-évalue son bilan est passible d’une peine. Or, étonnamment, ce qui est légalement prescrit pour les entreprises n’est pas respecté par une grande oeuvre sociale comme l’AI. Pourtant, dans son cas, il est de première importance que la situation soit présentée telle quelle, afin de pouvoir décider à temps des mesures d’assainissement nécessaires. Avec la RPT, cette question sera certes réglée à long terme. Mais d’ici là, il va encore falloir souffrir des largesses du passé. L’assainissement de cette oeuvre sociale est à l’ordre du jour. Aucune alternative politique à la hausse de la TVA de 0,8% n’est perceptible et l’augmentation des contributions des employeurs et des employés, de 1,5 à 1,6 point de pourcentage, représente bien peu de chose.

La 5e révision de la LAI s’engage dans la bonne direction


Notre société, et avec elle le monde du travail, se sont profondément modifiés au cours des dernières décennies: révolution des médias, concurrence acharnée et mutations structurelles aboutissant à des fusions, fermetures d’entreprises et délocalisations. La peur de perdre sa place de travail et l’obligation de rationaliser constamment afin de permettre à l’entreprise d’atteindre toujours davantage ses buts poussent au stress, à l’agitation et au harcèlement. La hausse de la part des maladies psychiques dans les rentes AI repose sur toutes ces réalités. La 5e révision de la LAI s’est engagée dans la bonne direction, puisqu’un de ses objectifs est de freiner l’augmentation du nombre de nouvelles rentes. Chiffrée à 20%, cette réduction est réaliste et éminemment importante pour le succès de la révision; elle ne doit, toutefois, pas aboutir à un transfert de cas à l’assurance-chômage ou même à l’aide sociale. Deux instruments ont une importance fondamentale: la détection et l’intervention précoces ainsi que les mesures de réinsertion. L’AI prévoit de faire jouer un rôle de premier plan à la détection précoce, considérée comme une prévention secondaire. Elle veut ainsi tenter d’éliminer son image d’«atelier de réparation». Cette tâche incombe aux services de l’AI, qui doivent créer des bureaux spécialisés à cet effet. L’intervention précoce permet de prendre rapidement des mesures appropriées et judicieuses, comme par exemple une adaptation du poste de travail. Selon les pronostics du DFI et compte tenu des économies réalisées sur les rentes, les mesures de réinsertion engendreront des dépenses supplémentaires de 290 millions de francs en moyenne par an de 2007 à 2016 avant de devenir «rentables». En plus des mesures de réinsertion habituelles de l’AI (médicales, moyens auxiliaires, mesures de réinsertion professionnelle, formation spéciale), des offres pour des entraînements, des cours d’informatique et de langue ainsi que des programmes d’occupation seront mis sur pied. L’intéressé a l’obligation de collaborer et encourt des sanctions qui peuvent aller jusqu’à une réduction des prestations. La 5e révision de la LAI représente certes un risque. Les investissements pour la prévention et pour les mesures de réinsertion auront-ils les résultats escomptés? Personnellement, je suis convaincu que nous devons prendre ce risque. m

Proposition de citation: Ernst Zuercher (2005). Reculer pour mieux sauter. La Vie économique, 01 octobre.