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Le produit intérieur brut ne peut pas mesurer de manière adéquate des aspects comme la satisfaction dans la vie ou les dommages environnementaux. La recherche d’indicateurs complémentaires se révèle cependant difficile.
Mathias Binswanger, Professeur d’économie, Haute école spécialisée de la Suisse du Nord-Ouest (FHNW), Olten (SO)

Prise de position

Le produit intérieur brut (PIB) n’est pas le bon indicateur pour quantifier ce qu’il devrait réellement exprimer, écrit le Prix Nobel d’économie Joseph Stiglitz dans la revue « Scientific American ». Le constat n’est pas nouveau, le PIB faisant depuis longtemps l’objet de critiques. Mais jusqu’ici, celles-ci n’ont en rien pu corroder l’aura du PIB. Des instituts économiques passent l’année entière à formuler et à reformuler leurs prévisions du PIB. Ces prédictions sont ensuite prises très au sérieux dans les débats publics, qu’elles se réalisent ou non.

Le PIB est sans conteste l’indicateur le plus important pour décrire l’évolution d’une économie. Il quantifie la création de valeur annuelle d’un espace économique et exprime le revenu correspondant en termes monétaires. L’équation est simple : plus le PIB est élevé, plus les salaires, les bénéfices des entreprises et les recettes fiscales de l’État sont élevés.

Croître ou régresser


Les entreprises qui veulent survivre doivent engranger des bénéfices sur le long terme, au risque de faire faillite. Le secteur des entreprises ne peut toutefois réaliser des bénéfices sur la durée que si la croissance économique est au rendez-vous. Autrement dit, le succès économique est à la portée de la majorité des sociétés tant que le PIB augmente. Si la croissance disparaît, les bénéfices se transforment peu à peu en déficits et l’économie est aspirée dans une spirale baissière. En bref, l’alternative est simple : croître ou régresser.

Sur le plan strictement économique, le PIB a donc toute son importance puisque sa progression est une question de survie pour toute économie moderne. Le PIB devient toutefois problématique lorsqu’il est pris comme référence pour le bien-être des individus. En effet, le PIB (par habitant) ne dit rien sur cette question. Les individus sont pour la plupart insensibles à une augmentation du PIB de 1 % ou 2 %. En revanche, ils ressentent directement la perte d’un emploi ou l’insécurité liée au taux élevé de criminalité dans un pays.

Le PIB n’indique pas non plus si les revenus sont partagés équitablement ou non. Il ne renseigne pas davantage sur la qualité de vie, la situation de l’emploi, la sécurité, et encore moins sur l’ampleur de l’impact environnemental des activités économiques. De même, il fait totalement abstraction des activités productives non rémunérées.

Il faut donc utiliser d’autres indicateurs pour évaluer l’évolution des conditions de vie prévalant dans un pays, ce qui n’a été que rarement fait jusqu’ici. Dans la plupart des cas, on nous « sert » uniquement les taux de croissance du PIB et il faut chercher longtemps avant de trouver d’autres indicateurs.

La formation suisse prise en défaut ?


Joseph Stiglitz demande par conséquent que le PIB soit complété par d’autres indicateurs. Mais lesquels ? Les propositions ne manquent pas. L’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) a par exemple développé 11 indicateurs dans le cadre de l’Initiative du vivre mieux ; ils sont actuellement utilisés au moins partiellement par 40 pays. On y trouve des paramètres usuels comme le revenu, la distribution des revenus, l’emploi, la formation, la santé, l’environnement et la satisfaction dans la vie. La Suisse applique également ces indicateurs et atteint des résultats relativement bons concernant le revenu, l’emploi, la santé et la satisfaction dans la vie – mais étonnamment pas pour la formation, où elle figure au 17e rang. Pourquoi ?

L’explication est simple : le système suisse de formation duale fait que les jeunes sont moins nombreux à fréquenter les hautes écoles que dans d’autres pays en raison des possibilités d’effectuer un apprentissage professionnel. On aurait tort d’en conclure que les jeunes sont moins bien formés en Suisse. L’indicateur utilisé par l’OCDE rend dans ce cas une image faussée.

Prudence !


Le diable se cache dans les détails et la prudence est donc de mise si l’on utilise les indicateurs du vivre mieux proposés par l’OCDE. Ils ne révèlent souvent pas grand-chose lorsqu’on n’a pas de connaissance exacte concernant la manière dont ils sont construits et les données utilisées. Cette remarque s’applique non seulement aux indicateurs développés par l’OCDE, mais vaut aussi pour ceux du Programme des Nations unies pour le développement (Pnud) et de la Commission européenne.

Le dilemme de tous ces indicateurs s’explique par le fait qu’il n’est pas facile de quantifier les paramètres essentiels du bien-être comme le taux de satisfaction dans la vie. À l’inverse, les paramètres facilement mesurables comme le pourcentage de titulaires d’un diplôme d’études tertiaires manquent souvent de pertinence.

En conclusion, si le PIB demeure le principal indicateur conjoncturel de l’économie, il s’avère toutefois utile de le compléter par un nombre limité d’indicateurs susceptibles de renseigner sur la qualité de vie des individus et sur l’état de l’environnement – en restant prudent lors du choix de ces indicateurs.

La classe politique doit réagir lorsque nous constatons que la croissance du PIB porte atteinte à la qualité de vie et à l’environnement. Mieux vaut parfois avoir une croissance plus lente, mais plus acceptable socialement et durable. Nous voyons déjà ce genre d’approche en politique monétaire, lorsque la banque centrale a le droit – et le devoir – de juguler la croissance face à une menace d’inflation. Il s’agirait d’appliquer la même approche lorsque des risques graves menacent la santé ou l’environnement.

Proposition de citation: Mathias Binswanger (2021). Prise de position: Le PIB est-il le bon indicateur . La Vie économique, 04 octobre.