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Le Conseil fédéral veut alléger la charge des entreprises

Deux projets mis en consultation par le Conseil fédéral visent à réduire la charge administrative des entreprises. Qu’y a-t-il derrière le frein à la réglementation et la loi sur l’allégement des coûts de la réglementation pour les entreprises ?
La proposition de loi sur l’allégement des coûts de la réglementation pour les entreprises fait suite à une motion déposée par la conseillère nationale Sandra Sollberger (BL/UDC). (Image: Keystone)

Les entreprises suisses se plaignent régulièrement de la charge croissante qui découle de la réglementation étatique. Or, certains enjeux politiques comme la crise du coronavirus, le réchauffement climatique ou le recul de la biodiversité conduisent à une intervention de plus en plus importante de l’État. Comment minimiser les nouvelles charges imposées aux entreprises et réduire systématiquement la bureaucratie superflue ?

Ces dernières années, de nombreuses idées ont été discutées en vue de mieux « maîtriser » la réglementation, mais la plupart n’ont pas trouvé de majorité au Conseil fédéral ou au Parlement. Il s’est avéré que les intérêts particuliers ont une influence sur les débats et qu’il est généralement difficile d’obtenir des majorités pour des instruments incisifs ou des propositions de simplification concrètes.

Ainsi, le Parlement n’a pas voulu de la règle dite « un pour un » : selon cet instrument instauré notamment en Allemagne, les nouvelles charges réglementaires doivent être compensées par une réduction équivalente des charges en vigueur. De même, l’idée d’un droit de veto sur les ordonnances du Conseil fédéral, qui aurait permis au Parlement d’opposer un veto simple aux ordonnances édictées par le gouvernement, n’a pas séduit sous la Coupole.

L’une des rares exceptions est l’analyse d’impact de la réglementation (AIR), instaurée en 1999 et dont les directives ont été récemment révisées. Cet instrument permet au Conseil fédéral de soumettre toute nouvelle réglementation à un examen visant à déterminer son opportunité et à évaluer son coût et son utilité. Le Conseil fédéral a toutefois rejeté la proposition du Parlement d’instituer un organe indépendant chargé de contrôler les AIR, préférant miser sur une plus grande transparence.

À la demande du Parlement, le Conseil fédéral a mis en consultation, en avril 2021, deux nouveaux projets visant à alléger la charge des entreprises. Le premier revêt la forme d’une loi fédérale sur l’allégement des coûts de la réglementation pour les entreprises (Lacre). Il fait suite à une motion déposée par la conseillère nationale Sandra Sollberger (BL/UDC) et adoptée en 2019 par le Parlement.

Une réglementation efficiente


Avec la Lacre, le Conseil fédéral entend examiner de manière conséquente le potentiel d’allégement des réglementations en vigueur et des nouvelles réglementations proposées. Il vise une approche globale : les mesures et instruments de la nouvelle loi devront apporter des améliorations ciblées tout au long du processus législatif, en tenant toujours compte de l’utilité et des objectifs de la réglementation considérée.

La Lacre prévoit que la réglementation vise l’efficience pour l’ensemble de l’économie et une faible charge pour les entreprises. Ce double objectif passe notamment par des formulaires simples, des solutions numériques et des dispositions à la fois favorables à l’innovation et neutres du point de vue de la concurrence comme de la technologie.

Par ailleurs, le Conseil fédéral devra, pour chaque acte législatif, examiner au préalable s’il existe une réglementation plus avantageuse pour les PME. La Lacre comporte aussi une version édulcorée du principe « un pour un » : elle impose de soumettre toute nouvelle réglementation à un examen visant à déterminer si la charge des entreprises concernées peut être allégée par l’abrogation d’autres dispositions dans le même domaine.

Enfin, la Lacre exige d’estimer les coûts de toute nouvelle réglementation. Le Conseil fédéral devra indiquer clairement ces coûts à la fois dans son message au Parlement, dans le dossier mis en consultation et dans la brochure des explications de vote.

Faire avancer la numérisation


Le Conseil fédéral devra assurer un suivi systématique de l’évolution des coûts de la réglementation pour les entreprises. Il est prévu d’une part d’évaluer régulièrement les réglementations en vigueur afin de déterminer les allégements envisageables et, d’autre part, de numériser l’exécution. À cette fin, l’administration fédérale mandatera chaque année trois à cinq études portant sur les réglementations en vigueur dans des domaines choisis. Le Conseil fédéral décidera des thèmes retenus parmi ceux proposés par les départements. Les cantons pourront également soumettre leurs propositions. Tous les quatre ans, le Conseil fédéral présentera les résultats de ces études et les mesures prises en matière d’allégement administratif dans un rapport à l’attention de l’Assemblée fédérale.

Pour réduire les coûts de la réglementation, le Conseil fédéral mise entre autres sur la numérisation. Aussi la Lacre charge-t-elle le Secrétariat d’État à l’économie de poursuivre le développement du portail Easygov.swiss. Il est prévu qu’Easygov regroupe un jour, dans la mesure du possible, toutes les prestations administratives en ligne qui sont destinées aux entreprises et relèvent d’une compétence fédérale. Mis en ligne en 2017, ce portail permet d’effectuer pas à pas un grand nombre de démarches administratives, comme les créations d’entreprises, les mutations au registre du commerce, les poursuites et les permis concernant la durée du travail. Easygov compte aujourd’hui plus de 30 prestations administratives, et le nombre d’utilisateurs (déjà supérieur à 40 000) est en forte croissance.

Monter le curseur d’un cran


Le second projet mis en consultation en avril vise à instaurer un frein à la réglementation. Le Conseil fédéral met ainsi en œuvre une motion du groupe libéral-radical également adoptée par le Parlement en mars 2019.

Sur le modèle du frein aux dépenses en politique budgétaire, les nouvelles réglementations qui induisent des coûts supplémentaires élevés pour les entreprises ou qui alourdissent la charge d’un grand nombre d’entre elles devront être soumises à un seuil plus élevé lors du vote au Parlement, sous la forme d’une majorité qualifiée. Concrètement, un projet devra obtenir au moins 101 voix favorables au Conseil national et 24 au Conseil des États pour être adopté ; c’est la règle de majorité déjà prévue par le frein aux dépenses et pour l’adoption des lois fédérales urgentes. Le frein à la réglementation concerne aussi bien les lois fédérales que les traités internationaux qui contiennent des dispositions importantes fixant des règles de droit, pour autant que l’un des deux seuils déterminants soit atteint : si les coûts supplémentaires inhérents à la réglementation proposée touchent plus de 10 000 entreprises ou totalisent plus de 100 millions de francs sur dix ans, la majorité qualifiée sera requise lors des votes finaux du Parlement.

La modification des majorités requises pour des décisions de l’Assemblée fédérale nécessite une modification de la Constitution. En parallèle, le Conseil fédéral a préparé un avant-projet de modification de la loi sur le Parlement qui précise les conditions d’application du frein à la réglementation.

Au Parlement de jouer


L’objectif du frein à la réglementation est de contenir les coûts supplémentaires occasionnés aux entreprises par les nouvelles réglementations. Contrairement à la Lacre, dont le principal destinataire est l’administration fédérale, le Parlement devra ici également prendre davantage ses responsabilités. En théorie, la majorité qualifiée augmente la probabilité que les projets d’acte qui imposent une lourde charge aux entreprises échouent au Parlement. Or, un tel cas de figure devrait rester très rare, étant donné que le seuil de vote ne sera que légèrement relevé et que le Parlement adopte la plupart des actes législatifs à une nette majorité[1].

L’inscription du frein à la réglementation dans la Constitution et l’obligation d’estimer les coûts qui en découle pourraient néanmoins favoriser la prise en compte des coûts de la réglementation tant lors de l’élaboration des projets par l’administration fédérale que lors des débats au Parlement.

En ciblant spécifiquement les coûts de la réglementation pour les entreprises, le frein à la réglementation comporte cependant certaines faiblesses et certains effets secondaires. Pour déterminer si une réglementation est efficiente pour l’ensemble de l’économie, il ne suffit pas d’évaluer son coût, car celui-ci doit toujours être mis en balance avec son l’utilité. Du point de vue institutionnel, le frein à la réglementation apporte en outre une nouveauté : les modalités de vote au Parlement dépendront désormais des conséquences d’un projet pour des groupes donnés, en l’occurrence les entreprises. Autrement dit, il donne légèrement plus de poids à l’impact sur les entreprises par rapport aux autres intérêts en jeu, comme l’environnement ou la société.

Les deux projets proposent des approches différentes pour réduire la charge réglementaire. La consultation offre l’occasion de mener un débat objectif sur des instruments concrets de l’allégement administratif, des propositions d’adaptation et une éventuelle priorisation.

  1. Secrétariat d’État à l’économie (2020), Analyse des résultats des votes finaux au Parlement. Si les lois fédérales et les arrêtés portant approbation d’un traité international votés par le Parlement entre 2014 et 2019 avaient été soumis à la majorité qualifiée au lieu de la majorité simple, plus de 99,5 % d’entre eux auraient tout de même été adoptés. []

Proposition de citation: Roger Küttel ; Nicolas Wallart ; (2021). Le Conseil fédéral veut alléger la charge des entreprises. La Vie économique, 02 juillet.