Rechercher

Le coronavirus des bananes

Un champignon menace les bananeraies dans le monde entier. L’une des solutions réside dans de nouvelles sélections végétales. Un changement d’approche est nécessaire dans le commerce de détail et chez les consommateurs.
Une grande partie des bananes vendues en Suisse proviennent de Colombie. (Image: Shutterstock)

Les bananes font partie des fruits les plus appréciés après les pommes et les agrumes. En Suisse, nous en mangeons onze kilos par personne et par année. La purée de bananes est souvent la première nourriture solide des nourrissons et les personnes âgées peuvent consommer facilement leur chair fondante. Mais le succès des bananes est surtout dû à leur valeur nutritive. Elles sont appréciées pour leur apport énergétique rapide et elles contiennent des vitamines et des minéraux importants.

La Suisse a importé 97 000 tonnes de bananes l’an dernier, pour un montant de 104 millions de francs. La plupart proviennent d’Amérique latine, majoritairement de Colombie, du Panama, du Pérou et d’Équateur (voir carte). On trouve principalement la banane dessert de type Cavendish dans nos magasins.

À l’échelle mondiale, plus de 115 millions de tonnes de bananes ont été récoltées en 2018, dont un cinquième, d’une valeur de 12 milliards de francs, a été exporté. Les recettes provenant de l’exportation des bananes sont essentielles du point de vue économique pour certains pays d’Amérique latine : elles représentent 16 % des revenus des exportations en Équateur, 9 % au Guatemala, 8 % au Costa Rica et 3 % en Colombie.

Production de bananes et présence du champignon TR4




Source : FAO / Alliance Bioversity International et Ciat / la Vie économique

La banane plantain joue également un rôle important dans le monde, notamment pour la sécurité alimentaire. Dans de nombreux pays tropicaux et subtropicaux en développement, elle a la même valeur que la pomme de terre chez nous. Elle constitue par exemple la source d’amidon la plus importante en Ouganda, à l’est de l’Afrique. Contrairement à la banane dessert, la banane plantain ne peut pas être consommée crue.

Les bananes ont un gros avantage par rapport aux cultures annuelles telles que les céréales : ces plantes pérennes peuvent supporter de longues périodes de sécheresse. Cette propriété est de plus en plus appréciée, le changement climatique entraînant des schémas de précipitations toujours plus variables[1].

Un champignon létal


Pourtant, la production des bananes est en péril. Outre le changement climatique, plusieurs maladies menacent les bananeraies. La « maladie de Panama » donne notamment du fil à retordre aux producteurs : les champignons du genre fusarium[2] attaquent les racines de la plante et interrompent le transport de l’eau et des éléments nutritifs, ce qui conduit au flétrissement et à la mort des bananiers. Les spores du champignon demeurent viables dans le sol pendant des décennies. Les pesticides ne servent à rien. Seules les variétés de bananes résistantes survivent.

La maladie de Panama est apparue pour la première fois au début du XXe siècle. La vulnérabilité des plantations limitées à une variété de bananes était déjà apparue à l’époque. La variété commerciale Gros Michel, non résistante, a ainsi été presque entièrement remplacée dans les années 1960 par la variété résistante Cavendish.

La souche tropicale 4 (TR4), une souche plus agressive du champignon, s’est ensuite attaquée à la variété Cavendish[3]. Sa présence sur la banane Cavendish est attestée pour la première fois dans les années 1970 à Taïwan et elle s’est depuis lors répandue dans les plus grandes régions de production asiatiques (Inde, Chine, Indonésie, Thaïlande, Philippines). La TR4 a été découverte dans une plantation de Cavendish pour la première fois en 2019 en Amérique latine, plus exactement au nord de la Colombie. La pandémie de fusarium est pour ainsi dire le « coronavirus » des bananes, mais son taux de mortalité est bien plus élevé.

Le « Black Sigatoka » est un autre champignon qui infecte les bananes Cavendish. Il provoque une maturation précoce des bananes, qui ne peuvent plus être mises en vente. Ce champignon est combattu au moyen de pesticides depuis des années, ce qui génère des coûts importants et a des répercussions néfastes sur l’environnement et la santé des populations.

La rapidité de la propagation des maladies est due tant aux cultures qu’à la multiplication végétative. Comme les nouveaux bananiers proviennent de rejets latéraux génétiquement identiques, le matériel génétique ne change pas et les bananes ne peuvent pas s’adapter aux maladies qui les menacent. Si les plantes malades ne sont pas identifiées et détruites, les transmissions sur le nouveau matériel végétal sont difficilement contrôlables. Les conditions météorologiques extrêmes sont souvent associées à une réceptivité à la maladie de Panama : les tempêtes et les inondations qu’elles provoquent peuvent accélérer la propagation des champignons du genre fusarium.

Mise en quarantaine


La lutte contre la maladie de Panama a jusqu’ici surtout consisté à endiguer la propagation des champignons du genre fusarium. Comme pour le coronavirus, le diagnostic de la maladie fongique est important. En Colombie, les instituts compétents, en collaboration avec le Centre international pour l’agriculture tropicale (Ciat) et Bioversity International (voir encadré), ont pu rapidement prouver l’envahissement par le TR4 en 2019 et prendre les mesures de quarantaine adéquates. L’Organisme international régional contre les maladies des plantes et des animaux (Oirsa) a informé ses pays membres en Amérique centrale et du Sud pour qu’ils mettent en place les mesures de protection et de quarantaine nécessaires. La maladie ne se transmet pas uniquement par des plants infectés, mais également par les individus qui transportent le fusarium d’un endroit à un autre, par exemple sur leurs chaussures[4].

La culture de variétés résistantes est une stratégie durable à long terme de lutte contre le TR4. Mais cela s’avère difficile, car les bananes sauvages résistantes ne se laissent pas croiser facilement avec les bananes de culture, ces dernières étant stériles. Puis, si la sélection réussit, la banane cultivée ne doit pas perdre les propriétés appréciées des consommateurs, à savoir son goût sucré, sa chair fondante et sa pelure sans taches.

Les bananes sauvages prennent l’avantage


À l’université du Queensland (Australie), l’équipe du professeur James Dale a réussi à transposer la résistance au TR4 d’une variété de banane sauvage vers la banane cultivée Cavendish à l’aide d’une méthode biotechnologique tout en gardant intactes les autres propriétés de la Cavendish. Il s’agit d’une technique dite de « cisgénèse », dans laquelle le nouveau gène est issu de la même espèce (Musa). Comme la Cavendish modifiée (cisgène) est également stérile, le croisement avec des bananes sauvages est hautement improbable. Cela étant, selon l’équipe du professeur Dale, les bananes génétiquement modifiées sont compatibles avec l’agriculture biologique[5].

Le gène résistant au TR4 observé dans la variété sauvage existe dans la banane Cavendish, mais y est peu actif. Une autre technique consiste à réactiver le gène en question au moyen de la modification génomique : aucun gène étranger n’est alors introduit[6]. On peut toutefois se demander si les consommateurs achèteraient des bananes issues de la cisgénèse ou de la modification génétique même si elles ont exactement les mêmes propriétés que les bananes conventionnelles et qu’elles permettent d’économiser des tonnes de pesticides. Pour que les bananes issues de la cisgénèse ou de la modification génétique aient une chance sur le marché, un changement de mentalité est nécessaire de la part des consommateurs et du commerce de détail.

Davantage de variétés


Indépendamment des possibilités qu’offre la biotechnologie moderne, le directeur de l’alliance entre Bioversity International et Ciat, Juan Lucas Restrepo, plaide en faveur de l’utilisation de la multiplicité des bananes sauvages (biodiversité agricole) pour augmenter la diversité de la banane cultivée[7]. Ce faisant, on pourrait également s’attaquer au problème de la monoculture des bananeraies. La sécurité alimentaire de millions de personnes, des centaines de milliers d’emplois et une chaîne de création de valeur de plusieurs milliards de francs seraient en jeu, estime M. Restrepo.

Juan Lucas Restrepo propose que les acteurs concernés participent à la création d’une plateforme permettant de lutter ensemble contre les maladies et d’augmenter la variété des bananes pour maîtriser les problèmes structurels à long terme. L’objectif est de cultiver des bananes de goût et d’aspect variés pour le commerce de détail qui garantissent une production résiliente et durable.

De nouveaux modèles d’affaires basés sur la diversité des variétés devraient aussi être financièrement durables. La diversité engendre des coûts de production plus élevés et n’est pas toujours compatible avec les exigences logistiques de la chaîne d’approvisionnement mondiale. Le commerce de détail devrait en outre être prêt à proposer des produits variés dans ses rayons à un prix équitable pour les producteurs de bananes.

Pour les grandes compagnies bananières comme Chiquita, Dole ou Del Monte, la banane Cavendish devrait rester la meilleure vente, notamment parce que les normes de la chaîne d’approvisionnement sont axées sur la variété Cavendish, ce qui se ressent sur le prix.

Les devoirs du commerce de détail


Un autre objectif essentiel d’une plateforme commune doit être de produire une banane Cavendish génétiquement modifiée et résistante qui obtient de meilleurs rendements avec moins de pesticides. Elle pourrait également faire prendre conscience que l’économie mondiale de la banane forme un écosystème avec différents acteurs qui peuvent tous faire partie de la solution si une volonté de collaboration émerge. Dans cette optique, le dialogue entre les groupes d’intérêts impliqués (« multi-stakeholder ») constitue la base permettant de fixer des priorités spécifiques selon les régions.

Au cours des dernières décennies, le pouvoir de marché s’est déplacé des grandes marques de bananes vers les détaillants[8]. Ces derniers s’assurent la plus grande part des marges du commerce des bananes dans toute la chaîne d’approvisionnement (entre 21 et 43 %)[9]. Les marges sur les bananes issues du commerce équitable ou de l’agriculture biologique se distinguent peu de celles dégagées dans la chaîne d’approvisionnement traditionnelle. L’espoir subsiste malgré les rapports de force et les intérêts asymétriques dans le commerce de la banane. Un dialogue entre les groupes d’intérêts pourrait être un bon début face aux défis et aux objectifs de développement durable des Nations unies (ODD), qui exigent également l’engagement du secteur privé.

  1. Dale et al. (2017). []
  2. Fusarium oxysporum f. sp. Cubense. []
  3. Dita et. al. (2020). []
  4. Dita et al. (2020). []
  5. Dale et. al. (2017). []
  6. Maxmen (2019). []
  7. Restrepo Ibiza (2019). []
  8. FAO (2016). []
  9. Bartel et al. (2017). []

Bibliographie

  • Bartel C., Soldati V., Ellenbroek N. et Hunkeler J. (2017). « Embeddedness of Chiquita’s banana production in Panama : The potential to mitigate social and ecological problems ». ATDF Journal, 9(1) : 32–47.
  • Dale J., Paul J.-Y., Dugdale B. et Harding R. (2017). « Modifying bananas : From transgenics to organics ? » Sustainability, 9(3), 333.
  • Dita M., Teixeira L. A. J., O’Neill W., Pattison A. B., Weinert M. P., Li C. Y., Zheng S. J., Staver C., Thangavelu R. et Viljoen A. (2020). « Current state of Fusarium wilt of banana in the subtropics ». Acta Horticulturae, 1272, 45–56.
  • FAO – Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (2016). Ecuador’s banana sector under climate change : An economic and biophysical assessment to promote a sustainable and climate-compatible strategy. Par A. Elbehri, G. Calberto, C. Staver, A. Hospido, L. Roibas, D. Skully, P. Siles, J. Arguello, I. Sotomayor et A. Bustamante. Rome.
  • Maxmen A. (2019). « CRISPR might be the banana’s only hope against a deadly fungus ». Nature, 574, 15.
  • Restrepo Ibiza J. L. (2019). « Contra natura». Portafolio, 22 août.

Bibliographie

  • Bartel C., Soldati V., Ellenbroek N. et Hunkeler J. (2017). « Embeddedness of Chiquita’s banana production in Panama : The potential to mitigate social and ecological problems ». ATDF Journal, 9(1) : 32–47.
  • Dale J., Paul J.-Y., Dugdale B. et Harding R. (2017). « Modifying bananas : From transgenics to organics ? » Sustainability, 9(3), 333.
  • Dita M., Teixeira L. A. J., O’Neill W., Pattison A. B., Weinert M. P., Li C. Y., Zheng S. J., Staver C., Thangavelu R. et Viljoen A. (2020). « Current state of Fusarium wilt of banana in the subtropics ». Acta Horticulturae, 1272, 45–56.
  • FAO – Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (2016). Ecuador’s banana sector under climate change : An economic and biophysical assessment to promote a sustainable and climate-compatible strategy. Par A. Elbehri, G. Calberto, C. Staver, A. Hospido, L. Roibas, D. Skully, P. Siles, J. Arguello, I. Sotomayor et A. Bustamante. Rome.
  • Maxmen A. (2019). « CRISPR might be the banana’s only hope against a deadly fungus ». Nature, 574, 15.
  • Restrepo Ibiza J. L. (2019). « Contra natura». Portafolio, 22 août.

Proposition de citation: Isabelle Schluep (2020). Le coronavirus des bananes. La Vie économique, 15 juillet.

L’alliance entre Bioversity International et le Ciat

En janvier 2020, le centre pour la biodiversité agricole Bioversity International et le Centre international pour l’agriculture tropicale (Ciat) ont regroupé leurs activités sous la forme d’une alliance qui vise à exploiter la diversité des plantes agricoles cultivées par le biais de solutions scientifiques. Bioversity International et le Ciat sont deux des 15 centres internationaux de recherche agricole du Groupe consultatif pour la recherche agricole internationale (CGIAR) fondé en 1971. La Suisse est l’un des membres fondateurs et siège actuellement au sein de son conseil d’administration. Elle soutient le CGIAR à hauteur de 33 millions de francs pour la période 2020–2021.

L’ingénieur-agronome Nicolas Roux coordonne le réseau des bananes « MusaNet » auprès de l’alliance. Tous les acteurs importants se sont associés au sein d’un partenariat pour retracer de manière efficace les ressources génétiques des bananes (en particulier les collections Musa importantes à l’échelle mondiale) et pour en faciliter l’utilisation. La plus grande banque génétique du monde dédiée aux bananes se trouve à l’université catholique de Louvain (KU Leuven), en Belgique. L’alliance comprend également le secrétariat de la plateforme « ProMusa », qui permet d’échanger des nouveautés, des connaissances et des informations sur les bananes. De plus, l’alliance coordonne les réseaux de recherches sur les bananes actifs à l’échelle régionale (comme Musalac en Amérique latine).